La Voie Chadelia

On présume que c'est à la fin du XVIIIe siècle que la Chadelia fut introduit au Fouta. Thierno Aliou Soufi de Kansa-

Gâwol, près de Popodara (Labé) en fut l'apôtre fervent. Ce marabout, de la famille Seeleyabhe, avait fait ses

premières études près de son père ; puis, pendant sa jeunesse, il se rendit à Fez, au Maroc, pour les compléter

auprès de son homonyme, Ali Soufi el Fassi. Il revint ensuite dans son pays natal où, grâce à une propagande

active, il attira à sa voie la majorité des Foula, qui pratiquaient la Qadria. Après avoir attiré de nombreux disciples

dans le Labé, il se rendit auprès des Almamys, à Timbo, où il demeura jusqu'à sa mort. Il fut enterré à Dara près de

Timbo. Sa tombe fait l'objet de pèlerinages fréquents. La Chadélia exige la récitation quotidienne d'un nombre

important de litanies; à cela s'ajoutent plusieurs autres disciplines dont les plus importantes sont : le jeûne,

l'isolement, la prière en commun et le Dyaarore, pratiqué dans la nuit du jeudi au vendredi, à haute voix, sans arrêt,

par des chants à la louange du Prophète et demander au Tout-Puissant des bénédictions en sa faveur. Cette

réunion rassemble, généralement, tous les adeptes et donne occasion à des distributions de cadeaux à l'initiateur et

aux pauvres. A la mort de Thierno Aliou Soufi, ses disciples se répartirent en trois groupes : N'Daama, Gomba et

Zâwia.

Le groupement de N'Daama

Ce groupement fut dirigé par Thierno Mamadou Diâwo, dont le père, Thierno Ciré, fut le fondateur de la province de

N'Daama. Chef de guerre, Thierno Ciré commanda le Badiar et le Pakessy comme vassal du roi de Labé. A sa

mort, Thierno Mamadou Diâwo lui succéda; et l'influence que la Chadelia obtint sous son obédience, fit du N'Daama

un centre de pèlerinage et de dyaarore. La piété de Thierno Mamadou Diâwo attira un grand nombre de réfugiés

qui fuyaient l'autorité du chef du diiwal de Labé. Ainsi ce pays ne tarda pas à donner de l'inquiétude à l'Alfa mo

Labé, qui jugea le développement de la Chadelia comme un obstacle à son autorité. Mais Thierno Mamadou Diâwo

sut jouer le jeu et arriva à échapper aux griffes du suzerain tout en étendant la voie de la Chadelia dans tout le pays

et ses environs. Il mourut en 1865. Son fils aîné, Thierno Abdoul Goudouci, ayant le rang de savant dans la religion,

prit la relève. On l'appela, à juste titre, le wali de N'Daama. Malheureusement, il trouva, la, mort au cours d'une

expédition contre les fétichistes dans le N'Gabou. Son frère, Thierno Ibrahima lui succéda et n'employa pas moins

d'effort pour continuer l'héritage spirituel de son père et de son frère aîné. Sa tâche ne fut pas des moindres, car le

désir de conquérir son indépendance vis-à-vis de Alfa Yaya, lui créa toutes sortes de difficultés. Cependant, sous

son autorité, la Chadelia connut encore un essor plus poussé dans le N'Daama, la Basse-Casamance, en Guinée

portugaise et en Gambie. Malheureusement, la politique coloniale dirigée contre ce marabout, perturba, quelque

temps après, cette heureuse situation. Thierno Ibrahima fut arrêté avec ses fils et frères, qui étaient ses soutiens.

Condamnés à être internés, ils furent dirigés sur le Gabon où, sans espoir de retour Thierno Ibrahima mourut au

cours de l'année 1902. Les talibés se dispersèrent et la Chadelia disparut du N'Daama.

Le groupement de Gomba

Le chef de ce groupement fut Thierno Aliou, connu sous le nom de Wali de Gomba. Cet éminent marabout, né vers

1820 à Kâta-Mombeya (Kollaadhe), fit ses premières études auprès de Thierno Samba Mombeya, puis à

Fougoumba et à Timbo. C'est de cette ville qu'il partit pour le Sahel où il acheva son instruction. A son retour dans le

Fouta il s'affilia au Chazélisme. A cette époque, un marabout, Alfa Mamadou Diouhé, avait soulevé ses talibé contre

les Almamys, estimant que leur autorité n'était pas conforme à la loi coranique. Thierno Aliou de Gomba voulut

suivre son exemple. Faute de moyens pour faire aboutir son désir, il préféra émigrer et se rendit tout d'abord, dans

le Kébou (Télimélé), où il constata qu'il n'était pas à l'abri. Mais dans ce pays il obtint des résultats positifs pour la

Chadelia qu'il propageait activement. Il choisit Gomba, à la lisière du Fouta, pour fonder un village et une mosquée

qu'il baptisa Misside. En peu de temps, une foule nombreuse d'adeptes venus de tous côtés, notamment du Fouta,

des mécontents, des victimes des exactions des chefs, des esclaves fugitifs, le rejoignirent pour s'affilier à son wird

ou vivre sous sa protection. Le Chazélisme connut très rapidement un développement considérable.

Thierno Aliou, à partir de ce moment, rencontra d'énormes difficultés, aussi bien de la part des Almamys soussou

que des Chefs du Fouta, qui, inquiets, fixèrent leur regard sur ce qui se passait dans le Gomba. Malgré les attaques

politiques de toutes sortes tendant à le déloger de sa Misside, Thierno Aliou continua à fortifier son installation et à

donner à son wird une base populaire d'épanouissement dans la région et ses environs. Le Dyaroore, notamment,

fut poursuivi avec fanatisme. La Missidé devint bientôt le centre islamique le plus florissant et le plus important de

l'ouest du Fouta.

Le Dyaroore prit bientôt le pas sur les études. Avec le temps,l'influence du Wali s'accrut en même temps que

l'inquiétude des chefs, qui utilisèrent tous les moyens à leur portée pour faire disparaître cette « secte » religieuse

qui leur causait tant de soucis et de chagrins.

Bientôt, les intrigues des chefs amenèrent les Français, devenus maîtres du pays, à décider l'arrestation de Thierno

Aliou. Mis au courant de cette décision, le Wali prit la fuite, accompagné de ses principaux talibés, pour se réfugier

en Sierra-Léone. Sur demande d'extradition, il fut transfére a Conakry, jugé et condamné à mort. Il fut exécuté au

cours de l'année 1911. Les autorités françaises dispersèrent tous les habitants de Misside et la Chadelia disparut

totalement de la région.

Le groupement de Zawia

Zâwiaou Diâwia est un village créé au début du XIXe siècle, au nord-ouest de Labé, par Thierno Ismâïla établi à

Buruudyi et issu de la famille Woussinayabhe (Dialloubhe).Thierno Ismaila fut un disciple de Thierno Aliou Soufi de

Kansa-Gâwol et prit le wird avec lui. Après le décès de ce dernier à Timbo, Thierno Ismaila chercha un lieu propice

pour l'isolement prescrit par la Chadelia. Son choix tomba sur un point situé sur un contrefort, dominant la vallée de

.... Korôro et de la Wességuélé. De ce point, on contemple, à l'ouest, cette vallée, et à l'est, Lâfou et Bombi-Bourou

qui surplombent la vallée de la Komba. Le fondateur y construisit une mosquée magnifique et une case destinée au

dyaroore ; case qui fut surnommée Zâwia 6, ce qui donna le nom au village. Rapidement, Zâwia, se peupla de

parents et de talibé venus de tout le voisinage.

Thierno Ismaila mourut au cours d'un voyage à Timbo, laissant son fils aîné, Thierno Algacimou, comme successeur.

Ce dernier fit ses études auprès de son père et acquit une instruction très solide qui lui permit de prendre

valablement en main le groupement créé par son défunt père. Il le porta à un degré très élevé de prospérité.

Grâce à sa dévotion, il attira à lui de nombreuses personnalités peules qui adoptèrent sa voie. Pour obtenir ses

bénédictions, le roi du Labé de l'époque, donna son nom à un de ses fils qui devint Alfa Gacimou, chef alfaya.

Thierno Algacimou fut le premier marabout qui eut l'honneur de recevoir El Hadj Ournar à Diountou, dans le Labé, et

lui souhaita la bienvenue dans le Fouta-Djallon. Thierno Algacimou mourut en 1860 à Zawia. Sa tombe se trouve

tout près de la mosquée. Les talibé y font un pèlerinage constant, tous les vendredis, après le dyaroore. Son

premier fils, Karamoko Ibrahima., lui succéda pour une courte durée. A la mort de ce dernier, la succession revint au

deuxième fils, Thierno Mamadou Chérif. Moins instruit que son père, il fut, néanmoins, très dévoué pour la Chadelia

et mena une vie de piété dans l'isolement, se conformant à tout point de vue, aux règles édictées par sa voie. Il évita

au maximum le contact avec les chefs et les Blancs qui dirigeaient le pays. Pour maintenir cette attitude, il confia à

ses deux premiers fils, Thierno Mamadou Diâwo et Thierno Hacimiou, la direction matérielle et spirituelle de la

zâwia et ne garda que l'autorité morale. Son prestige fût considérable dans tout le Fouta et même hors de ses

frontières. Il porta le titre de Cheick. Thierno Mamadou Chérif fut père de six garçons, tous instruits, ayant le sens du

devoir vis-à-vis de la Chadelia. Tous poursuivirent sous sa conduite, l'oeuvre entreprise pour la consolidation et le

rayonnement de la Chadélia dans le Fouta. Le premier, Thierno Mamadou Diâwo, fut nommé, malgré lui, chef de la

misside de Zâwia en 1913. Il servit d'intermédiaire entre son père, les talibés qui formaient la population du village,

et l'administration française. Son autorité religieuse lui apporta un soutien remarquable dans la marche des affaires.

En 1914, Cheick Mamadou Chérif, constatant l'affluence des fidèles autour de lui, décida de créer une seconde

zâwia dans la vallée de Wességuélé, à Donghol Diadia. Le travail fut entreprit sans l'avis de l'Administrateur de

Labé. En peu de temps, un nombre impressionnant d'habitants émigrèrent des villages voisins pour grossir le

nouveau village. Ce qui provoqua des perturbations dans le fonctionnement des villages avoisinants. Ainsi fut attirée

l'attention de l'Administrateur de Labé. Celui-ci manda le Cheick à Labé et le mit, avec son fils Thierno Mamadou

Diâwo, en résidence suiveillée au camp des gardes de Labé. Il se rendit lui-même à Donghol Diadia et procéda

brutalement à la destruction du beau travail commencé. Il dispersa la population qui s'était fixée autour du Chaldelia

et ne rencontra aucune résistance. Rentré à Labé, l'Administrateur n'y retrouva plus que Thierno Mamadou. Il libéra, cependant, le Cheick qui rentra à Zâwia.

Cet événement, ajouté à ceux de Dâma et de Gomba, porta un coup sérieux au développement de la Chadélia dans

le Fouta. Thierno Mamadou Chérif continua sa vie d'isolement et de dévotion. Son deuxième fils, Thierno Hacimiou,

remplaça seul Thierno Mamadou Diawô dans ses fonctions politiques et religieuses. Les relations avec

l'Administrateur de Labé reprirent normalement.

Après avoir quitté Labé, Thierno Mamadou Diâwo se réfugia chez Chérif Younoussa, en Casamance. Il fut disciple

de ce dernier et embrassa la Tidjania que celui-ci dirigeait avec force dans la région. Quatre ans après, il rentra à

Zawia porteur de l'ordre d'initiation à la Tidjania. Par lui cette nouvelle voie fit une entrée triomphale à Zâwia. Avec

promptitude, les frères de Thierno Mamadou Diâwo et les principaux talibés suivirent le bel exemple de leur aîné, et

c'est en masse que les habitants les imitèrent dans cette voie. En quelques années, la Chadelia fût éclipsé par la

Tidjania.

Thierno Mamadou Diâwo reprit, dès son retour, la direction de la zâwia, secondé par son frère, Thierno Hacimiou

qui garda cependant le commandenient du village. Le Cheick lui-même abandonna la Chadelia pour se consacrer

au Tidjania. Sous l'obédience de cette nouvelle voie, la zâwia continua le Diâroré comme par le passé.

Mais Thierno Hacimiou mourut en 1927, laissant à son frère aîné la responsabilité de la zâwia et l'administration du

village. La Tidjania gagna du terrain dans le Fouta et Cheick Mamadou Chérif en fut un pilier très solide jusqu'en

1933, date à laquelle il mourut. Thierno Mamadou Diâwo continua sa mission dans les meilleures conditions et

mourut lui aussi en 1948. C'est alors que la succession passa à ses frères : Thierno Mamadou pendant cinq ans,

Thierno Mamadou Moudjitaba pendant trois ans, Thierno Abdoul Ghadiri pendant deux ans et Thierno Ousmane qui

dirige actuellement la zâwia avec compétence et autorité. L'influence de Thierno Mamadou Chérif couvre de nos

jours Zâwia. Malgré sa disparition, les talibés sont encore attachés à ce village où ils viennent du Sénégal, du Mali,

de Sierra-Léone ou du Libéria, faire pèlerinage à son tombeau.