La Réaction des Grands

 

Thierno Abdourahmane Bah

1916 - 2013



Amical Ko Faabo

Kala on mo nootii noddital Amicale danyay 
Barkeedyi buy, sabu on ko endhan dyokkata!
Amicale si wuurii, dhun wonay nafa leydi men, 
nafa yimbhe men, nafa dyulbhe fow, ko bhe sikkataa.
Amicale ko faabo ngo Allah addi e leydi men: 
yo ngo faabo en faabooji moyyhi dhi hubhataa!
Amicale ko naange nge Allah fudhni e leydi men, 
yo nge dyalbinan en, yiitiden, en wenthataa!
Hari Fulbhe kan fii mun muulii gila duubhi hewdhi: 
alaa e medhen haldeteedho ko huuwata!
Hino orniree wano muumi tun; hino dunthiree 
haajuuji fow, hino dyolda, yhawra, ko andataa!
Haa dyooma faabori en e bawgal Makko ngal 
Amicale ko nootoo inde men tuma noddita.
Kala yimbhe aduna e hewde mun, ko enen bhaleebhe subhaa wadhaa ko huuwa, itta koandataa.
Midho sikki non sabu dhun ko angal fottugol 
defi en dhuun: koni haldiden, kala yiitida!
Yaa persidan, wonu neddho nundhudho, yiddho leydi mu’un, e yimbhe mu’un, ko dhun tun fewnata;
Yaa mamburuubhe, wonee tamande e bhaawo oo 
hooreejo moodhon, taskodhon ko o fewdyata.

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Thierno Abdourahmane, 1945


Autant les masses populaires opprimées s’enthousiasment pour le poème qui pleure leurs misères et

les invite à se forger les armes de leur libération, autant les grands du Fouta, en l’occurrence les

chefs de canton s’alarment, estimant que « les enfants de Thierno Aliou Boubha-NDiyan » sont en

train de gâter l'esprit de l’opinion publique, voire de pousser les gens à la révolte contre l’ordre

établi, hibhe murtinde yimbhebhen. Thierno Siradiou et ses frères sont convoqués dans la case à

palabres, pour s’entendre notifier ces griefs. Le porte-parole des grands, un chef de canton lui-

même, fit son expose dans une langue qui fut un modèle de diplomatie et de tenue: 

« Les Foulbhe du Fouta-Djallon, commence-t-il en se lavant les mains, ont une culture, des

traditions, une âme en un mot, qui sont un don-de Dieu, amené par les Karamoko originels et les

Walliyyu qui leur ont succédé, Il serait, voyez-vous, très regrettable, n’est-ce pas? Que ce bienfait

divin unique au monde, il serait regrettable, nous sommes tous d’accord là-dessus, que ce bienfait

périsse par le fait d’autres Walliyyu ou fils de Walliyyu... En tous cas, tout le monde sait, n'est-ce

pas? Que Thierno Aliou Boubha-NDiyan (que Dieu le reçoive en son paradis), est une des sources

les plus limpides et des plus abondantes de cette culture bénie. Il est clair, nous sommes tous

parfaitement d’accord sur ce point, que le Fouta-Djallon sera sur le bon chemin tant que les Foulbhe

suivront l’exemple des gens de Dieu comme lui. » 

II s’arrête, se frotte le visage avec les mains, se racle la gorge, jette un regard sur ses collègues puis

sur le tapis sahélien où il était assis. Puis il continue ainsi:

« Beaucoup de choses se sont passées ces temps-ci, des innovations de toutes sortes sont

apparues, de bonnes et d’autres encore. Nous savons tous observer et nous avons tous observé,

pour sûr. Mais un des traits de notre culture n’est-il pas de savoir tenir sa bouche, et sa plume aussi

bien, puisque chez nous l’une ne va pas sans l’autre? La plus grande vertu chez nous est de savoir

se taire quand il faut, pour préserver la paix et la dignité de la nation, n'est-ce pas? ». 

« Or, que voit le Fouta depuis quelque temps? Ce qu'il voit, vous savez n’est pas sans alarmer le

Fouta. Comment les enfants d’un des plus grands Foutanke peuvent-il donner l'impression de

travailler à propager, Dieu seul sait quelles idées, de travailler à la division de la nation dans son

âme même? Je vous le dis tout net, le Fouta s’alarme. N’est-ce pas Dieu qui fait faire tout ce qui se

voir faire sur terre et ailleurs? Dieu ne dit-il pas qu'il nous éprouvera par l’effroi et la faim, diminution

de biens, de personnes et de fruits, afin de nous révéler ceux d’entre nous qui lui sont réellement

soumis? » 

Il continue quelque temps, dans le plus grand silence de toute l’assemblée, et conclut ainsi: 

« Bref le Fouta est ému et trouble, d’autant plus que le Fouta pensait, et pense toujours que les

enfants de Thierno Aliou Boubha-NDiyan, le maitre de la plupart de ce qui compte chez nous, que

les enfants de ce Walliyyu sont parmi les garçons les plus éminents de notre culture nationale. C’est

ce que l’on m’a chargé de communiquer a notre assemblée. N'est-ce pas? » Demande-t-il à ses

collègues de la délégation. 

- C’est cela même, lui répondit-on en chœur, et comme avec soulagement que ce soit fini sans

accrocs. Les gens connaissaient Thierno Siradiou. 

Celui-ci, après un petit silence suivant la péroraison du porte-parole, part d’un grand éclat de rire.

On savait que ce rire était de mauvais augure, car il manifestait toujours une colère que l’on ne

pouvait pas maitriser. 

- « Eh bien, eh bien ». dit-il, souriant. « C'est donc à mes petits frères que vous vous attaquez

maintenant? » Sa voix se fit plus métallique que jamais. « Aux fils de mon père? Eh bien, eh bien! » 

Il se tut, regarde ses cadets et dit d’un ton sans réplique:

- « Allons, mes cadets, debout, partons, allons-nous en! » 

Et les frères de se lever et de s’en aller, sans qu’aucun autre ait place un mot. Il faut dire que les

poèmes de Thierno Abdourahmane n’étaient pas les seules causes de souci chez les grands

de l’époque. 

 

El Hadj Ibrahima Caba: Defte Cernoya 1998