La Poésie Foutanke

Le vers peul, au Fouta-Djallon littéraire, est bâti selon la poétique arabe, une alternance de syllabes brèves et

longues dont la vocalisation correcte est en elle-même musicale. L'esthétique poétique est due, dans les textes

peuls, au rythme et aux rimes. Le rythme est donné par l'ordre particulier de succession des syllabes longues et des

syllabes brèves. Le rythme est en même temps musical et évocateur, il peut suggérer le thème de l'oeuvre

poetique...

Car I ‘essence de la poésie est de suggérer des sentiments plutôt que des idées. L'expression immédiate de l'idée

n'est pas le but du poète, qui préfère atteindre l'idée par le biais d’un sentiment qu'il fait naitre chez son lecteur ou

auditeur. C'est pourquoi le poète recourt à des précédés de la musique, tels le rythme et la rime. Le rythme est Ie

plus important dans la poésie du Fouta-Djallon.

« Kala mo yiudha no jala okka,
o wulloyay jango, sikkaka.

o nhallini wayta lumbama,
no bunga tun wayta wullama...»

(c. Salihu mo Alfa Umaru Rafill, Dara)

Le plus souvent, la rime est unique tout au long du poème. Ainsi dans la Qasiida de Mamadu Aliou THIAM, sur la vie

d'Elhadj Oumar, les 1189 vers édités par Gaden ont la rime unique TA:

v.1: Midho yetta Jooma Bajjo Dokko Mo habhata

Mo o rokki fuf andii fa maaya o ronkataa,

v.1189: Timmii qasiidam, ganditee woni fodde mum

teemeddhe dhidhi, dhen bhaawo ujunere nhakkataa.

Les poèmes de Thierno Abdourahmane sont de cette facture, avec une rime nique pour chaque pièce. Ainsi dans

l'une des plus longues pièces, sur l'histoire es Peuls du Fouta-Djallon, la rime unique est OL, AL, sur 380 vers:

v.378 : Ndee yimre an timmii ; mo jangi n jangitii,

o wiay gorel yimungel nde ngel jom mirnyagol;

v.379 : Kono non o fahmay fuddhagol taarixa men
si o fahma njubbhudi leydi men, o etoo dewal.

v.380: Allaahu juulu e Annabiijo e aali en
e sahaaba en, hisnaa bhe haa tuma ummutal.

Il arrive, lorsque le poète veut valoriser son thème, qu'il en prenne le terme (nom, verbe, adverbe, etc...) comme rime

unique. Ainsi, un poète évoquant des visions qu'il a eu des morts et leurs tourments dans les tombes, a composé un

texte de 81 vers sur la rime CENALE. Un autre, sur les mutations sociales consécutives à la colonisation, compose

32 vers sur la rime FOW:

v.17: Portobhe janfike Fuuta, murtii haabhe fow
haa rimbhe tampii jooni, yangike julbhe fow;

v.27: Yoga karamokoobhe wonii e sirri e hippagol,
. jokkii penaale, no inna gaynay huunde fow.

Un autre, dans une épitre au Prophète, adopte son nom, MUHAMMADU, comme rime des 242 vers:

v.3: Midho limta seedha e muujizeaji Muhammadu
v4: Sabu heewude yidhugol an Nulaadho Muhammadu.

Le poète peut combiner ces différents cas, comme fait Thierno Abdourahmane dans Mantugol Nulaadho jon

faabo, 31 couplets (strophes) de 5 vers chacun, Le dernier terme du 5 èrne vers est MAHMUUDU, tandis que les 4

pre­miers ont la même rime:

strophe 27:
Ko an mi noddirta ya Rasulu,
Ko an mi bhattorta si mi juulu,
Ko an mi mantorta si mi foolu,
Yo jooma men hisnu, yo o juulu
E mo’n yo Annabi MAHMUUDU!

Le rythme et la rime ressortissent de la technique de versification. Pour le rythme, on peut substituer deux syllabes

courtes consécutives à une longue. Ces aspects techniques ne suffisent pas à créer la beauté poétique, à produire

l'effet de suggestion dont on a dit qu'elle est l'essence de la poésie. Le sentiment poétique est souvent crée par des

images, des comparaisons, des rapprochements inhabituels de mots ou de sons, des associations d’idées

inattendues. Thierno Abdourahmane a le talent pour ces trouvailles, des rythmes évocateurs et des allitérations:

Bhe keriije juudhe no soppa soppita hittina;
gese mabbhe yaajira seedha seedha, bhe haabhataa.

Les sons P et T du premier hernistiche cite évoquent bien par allitération les coups successifs de daba sur le sol du ndantaari en début d'hivernage. Et encore:

Kollaadhe Timbi no weyyhitii, a wiay ko jom

cuddaaje dhuudhudhe wuppi liili: dhe yooratao.

Ou, pour évoquer, suggérer les misères de l'effort de guerre:

Mijii fii poore e yangi mu’un:

bonnii endhan, bonni dewgal

Endhan et dewgal ne sont-ils pas les deux raisons de vivre?

Hara poore siwaa, hara huunde alaa;
o tiwee o piyee, o wadhee bhoggol.