La Vie Publique de Thierno Abdourahmane
Thierno Abdourahmane Bah
1916 - 2013
A partir de 1935, Thierno Abdourahmane est donc sur orbite; c'est un érudit reconnu, un citoyen
anime d’amour pour le progrès de sympathie pour les souffrances de ses concitoyens. Il participe à
la création et à l’animation de nombreuses organisations culturelles islamiques en Afrique
occidentale, par exemple une Union culturelle musulmane (1957, Dakar). II a été inspecteur de
merderas, puis membre éminent du Conseil islamique national, sous la première république: il était
responsable de I ‘organisation du pèlerinage à la Mecque pour les Guinéens.
Depuis 1981, il est membre de l’Académie Internationale de Droit Islamique, MAJMAU-al-FIQH-al-
ISLAM, une société savante qui étudie les problèmes poses à la Communauté musulmane par la vie
moderne.
L’Académie tient une conférence générale annuelle, pour débattre d’une ou plusieurs questions
préalablement soumises à la réflexion et à l’étude des membres. Les communications écrites de
ceux-ci sont envoyées à tous les autres, préalablement à la conférence. Ainsi chaque académicien
peut apprécier le travail du communicateur.
L'assemblée n’a alors plus qu’à enregistrer les observations, puis à adopter les communications,
sous forme de recommandations aux fidèles. Thierno Abdourahmane etait vice-président de cette
société savante en 1981.
Il a rédigé des études sur des questions comme le respect des contrats, les droits de I 'homme, le
prix du sang, les sectes en islam, ou bien, les mères porteuses, le planning familial et le sida.
Thierno Abdourahmane a exercé des charges administratives. Cela a commencé de façon plutôt
dramatique, d’une manière qui a montré que les conservateurs avaient toujours les descendants de
Thierno Aliou Boubha-NDiyan dans leur collimateur.
Labé venait d’être érigé en commune, divisé en quartiers dont il fallait élire les chefs. Thierno
Abdourahmane et son frère Thierno Mamadou se portent candidats pour le même quartier, Dow-
Saare. Emoi chez certains des autres frères et neveux adultes. Chacun sait de tradition au Fouta
que la chefferie est une source de conflits sanglants dans les familles. Est-ce que les enfants de
Thierno Aliou n’allaient pas introduire dans leur clan les pratiques des Khaldouyanke de Labé, des
Sediyanke de Timbo?
Il n'en a rien été, car ils connaissaient l'histoire générale, et la morale aussi qui commande de faire
dominer les passions par la raison. On a fait remarquer que l'histoire islamique est pleine de cas de
ce genre, qu'en règle générale ce sont des « amis charitables » qui allument les brasiers dans les
familles, à propos de chefferie, de femmes ou d’héritage. Il ne fallait donc surtout pas se laisser
mener par des amis charitables, au point de semer la discorde dans la tribu. Celle-ci ne prendrait
pas parti pour l'un ou pour l'autre, mais chacun de ses membres devrait, lui, prendre parti pour l'un
ou pour I ‘autre. Thierno Mamadou sera élu, et quelques temps après, il fera élire son cadet comme
maire adjoint de la ville.
Les «amis charitables» n'ont pas manqué de se manifester. Un de mes camarades, élève dans une
des grandes écoles de Dakar m’a raconté l'histoire suivante qu'il avait entendue narrer chez lui
pendant les vacances.
Les deux frères avaient chacun une voiture, et des enfants qui ne dédaignaient pas de voler de
temps à autre les machines pour se montrer auprès de leurs copains. Un jour les deux bagnoles se
rencontrent nez à nez dans un carrefour à Ley-Saare. Ii y a eu quelques tales gondolées et peut-être
quelques vitres brisées. Conclusion générale des badauds, selon mon camarade, qui approuvait:
évidemment, ils (les deux frères candidats) ont les mêmes Chapelets, ils sont également protégés
par leur commun père, ils ne peuvent se « travailler » l'un I ‘autre. Je lui ai fait remarquer que Bocar
Biro et son frère, Alfa Yaya et le sien, et tous les autres cas connus de l'histoire, étaient de même
genre quant à la parente, et que par conséquent la conclusion ne reposait pas sur du solide. Ce qui
est vrai, ai-je ajoute, c’est que nous on n'aime pas se laisser guider par la passion, on n'aime pas
une chose aveugleraient.
Un autre cadre peul, haut fonctionnaire au gouvernement général, m'apercevant dans la rue à
Dakar, traverse celle-ci, me prend la main pour me dire avec une mine de compassion:
- Ah, vous aussi, voilà que vous êtes divises maintenant! On espérait que vous resteriez un modèle
pour le Fouta
- Qu'est-ce qui te fait dire que nous sommes divises? Lui ai-je demande.
Moi je ne savais pas, je n'ai pas constaté cela
- Mais voyons, tes deux parents-la (au fait ce sont tes frères ou tes oncles, ou quoi? car on ne sait
jamais chez vous), je veux dire les deux qui sont candidats à la chefferie du même quartier a Labé.
Ce n'est pas de la division familiale?
- Oh tu sais, repris-je nonchalemment, chez nous on sait faire la différence entre les affaires
publiques et les affaires de famille, entre les contradictions fondamentales et celles qui ne le sont
pas, pour employer le jargon de ceux que tu connais. Je m’étonne beaucoup que toi, un Poullo bien
instruit et bien informe que tu t’exprimes comme tu viens de le faire. II n'y a pas de division chez
nous, il y a deux frères (ce sont mes oncles) qui désirent une seule et même chose, c’est une
occurrence courante pour qui connait tant soit peu l'histoire et la psychologie des hommes. Celui qui
gagnera aura gagné, mais cela n’entame pas du tout leurs rapports de sang. Ils connaissent l’un
et l’autre les limites qu'ils doivent se garder de franchir.
Thierno Abdourahmane sera donc maire-adjoint de Labé, en 1957. Le jour de son investiture, il
prononcera un discours de circonstance en un français bien châtie que j’écoutais non sans
étonnement. C’était la première fois que je l’entendais dans ce domaine. Quand je lui ai adresse des
félicitations, pour la qualité de son allocution, il m’a arrêté en disant d'un air bonhomme:
- Merci pour tes félicitations, mais c'est mon frère qui en a le mérite. C’est Koto Chaikou qui a rédigé
le texte a ma demande; il me l’a lu et je l’ai récité. Ce n’est pas complique.
Je rapportais la chose a Bappa Chaikou, et mon admiration pour la déclamation de son cadet. Il
m'expliqua:
- Thierno Abdourahrnane, tu ne le sais pas, mais nous autres on le constate tous les jours, il a une
intelligence phénoménale. Lui, un texte, il lui suffit de le lire ou de l'entendre une fois, une seule pour
qu'il mémorise, s'il en a envie. Ce n'est pas par hasard que Koto Lamine lui avait donné Siradiou, ton
cadet, pour l’enseigner. Tu sais combien ton père était exigeant sur la qualité des maitres à qui il
consentait de confier ses enfants.
Je ne savais pas quoi apprécier le plus, de ces manifestations d'estime et de coopération
fraternelles. Plus tard, quand Bappa-en m’apprit qu'il avait récité tout le Coran en neuf lunaisons, je
compris que Bappa Chaikou n'avait pas fait dans l'hyperbole.
Thierno Abdourahmane n’a donc pas été élu chef de quartier, mais adjoint au maire de Labé. Apres
l’indépendance du pays, il assumera l'administration dans plusieurs arrondissements (maintenant
sous-préfectures) du Fouta: Kona et Koin dans Tougue, Thiangel-Boori (Lelourna), Timbi-Madina
(Pita) et Dara-Labe, ou lui naitra une fiIle qu’il prénommera Oumarou Rafiou, en I ’honneur du grand
Walliyyu, compagnon d'Elhadj Oumar. Dans le Tougue, il observera les boowe a bauxite et les
plaines de Kolloum, qu'il évoquera dans ses poèmes sur les terroirs guinéens; il en est de même des
plaines de Timbi, déjà décrits par Oswald Durand dans Téné Camara, quand
l’administration coloniale a voulu entreprendre le développement d’une agriculture moderne en
Guinée. A Thiangel-Boori, avec le village de Manda ou Thierno Abdourahmane a vécu du vivant de
son père, il avait l'occasion de se remémorer des souvenir d’antan. Il y rédigera une ode au
Prophète Sauveur.
Le commandant d’arrondissement et son comité directeur de section du Parti-Etat devaient veiller
sur la santé politique de leur territoire. Tout dépendait des rapports entre eux, dirigeants locaux. En
général, partout ou servit notre personnage, son renom d’homme de culture le maintint
généralement en dehors des conflits locaux pouvant survenir entre collègues du comité directeur.
Plutôt, cela a permis de résoudre quelques questions religieuses ou coutumières pendant. Ainsi,
arrivant dans un des endroits, il observe que les femmes prient assises, et non comme on fait
habituellement avec les différentes postures. On lui explique que c’est une interprétation des
lettrés locaux. II ramène ces bonnes femmes sur la pratique commune de se tenir debout, puis
courbé, puis prosterne et assis. A Timbi-Madina, les familles discutaient depuis dix ans de
l'opportunité de reconstruire leur mosquée. Ils se mettent d’accord lorsque Thierno-en est parmi eux,
et il lui revient de donner le premier coup de pioche pour le bel édifice que l’on peut voir désormais
dans cette ville prospère et dynamique. De même à Thiangel-Boori, il avait fait démarrer les travaux
de construction de mosquées non seulement au chef-lieu même, mais dans de nombreux villages
tout aussi bien. Au début de sa vie civile à Labé, dans le commencement des années 1950, il avait
été trésorier lorsqu'on a décidé de rebâtir la mosquée de Karamoko Alfa dans sa forme actuelle. Il
encourageait ainsi la modernisation du Fouta, et il chantera cette modernisation dans un des
célèbres petits textes, Kaaweeji Zamaanu meen, les merveilles de notre époque.
Il n’a pas fait seulement entreprendre des lieux de culte, mais aussi bien des écoles, des
dispensaires, des maisons communes (permanences des sections et des PRL), faisant comprendre
aux habitants qu'il s’agissait enrichir le patrimoine bâti de leur localité, que les générations futures
leur en sauront gré. Il cherchait d’une façon générale à faire comprendre aux militants du Parti-Etat
le pourquoi des ordres qui leur étaient ordonnés, de façon à les convaincre plutôt que de les
contraindre en communiquant les ordres par l'intermédiaire des miliciens.
Le coup d'Etat du 3 Avril 1984 survient alors que Thierno-en était à Labé. Les militaires le nomment
ministre des affaires religieuses. On se rappelle que le régime précédent, après avoir longtemps
affiche une laïcité très poussée, était revenu à un islam presque militant; il avait mis en place un
ministère des affaires islamiques que les militaires n'ont pu ni supprimer, ni maintenir, d’où la
dénomination du nouveau département. Thierno Abdourahmane s’occupera uniquement des
questions islamiques, s’efforçant notamment de discipliner les groupuscules islamiques
qui commençaient à se multiplier comme herbe en début d’hivernage, surtout à Conakry.
Il laissait les chrétiens s’occuper, de leur côté, de leurs problèmes. En tant que ministre et leader
islamique, il assumera l’imamat de la mosquée Fayçal qui avait été inaugurée en janvier précédant
le coup d'Etat, puis il déléguera cette tache a d'autres personnes. Il restera ministre jusqu'en
Septembre 1987, et il rendra alors son tablier en demandant à faire valoir ses droits à la retraite: il
avait alors atteint les 70 ans, et cela ne paraissait pas sur son corps, plus frais que celui de maints
de ses cadets. Il avait servi durant environ 1250 jours dans le gouvernement du Comité Militaire de
Redressement National (CMRN), lequel comité a subi entre temps maints soubresauts et purges, et
modifications d’effectifs, comme cela arrive inexorablement entre militaires et entre putschistes. Le
général-président du CMRN, Président de la République, Chef de l'Etat, le General CONTE,
organise une cérémonie d’adieu; il décore Thierno-en d’une médaille dont je ne suis pas sûr qu’il ne
fut le premier titulaire. Après Thierno Abdourahmane, le ministère des affaires religieuses n’a pas été
officiellement supprimé, mais il ne fut pas pourvu d'un ministre. On a crée une Ligue islamique
nationale qui fut soumise à la direction d'un professeur de lettres à la culture réelle, a la piété
islamique manifeste, mais dont la culture islamique n’était pas alors évidente.
La charge de ministre des affaires religieuses a fait participer Thierno Abdourahmane a de
nombreux forums islamiques, soit comme représentant du gouvernement guinéen dans des
rencontres d'Etats islamiques, soit comme érudit reconnu, dans un réunion de ses pairs, au sein de
nombreux organismes comme l' Académie dont il a été question plus haut; ainsi a-t-il conduit la
délégation guinéenne a Sana'a, Rabat, Jeddah, Bagdad, Bakou, Dakar, etc. ..., pour des
conférences d'Etats; il se rappelle avec un plaisir non dissimulé avoir présidé une séance
d'une conférence des imams des grandes mosquées du monde, dont ceux de la Mecque et de
Medine. Cette rencontre avait à étudier l’harmonisation de l’organisation et de la conduite de la
grande prière hebdomadaire, les vendredis (Rabat, 1985). Ces missions ont permis aux dirigeants
qu’il rencontrait de connaitre et apprécier son érudition et sa culture profondes.
Après son départ du gouvernement, il estait à Labé-la-ville, résidant près de la mosquée de
Karamoko Alfa, dont il assurait l'imamat avec son frère Thierno Habibou, son neveu Thierno
Abdoullaye, et le fils de I ‘imam précèdent, Thierno Aliou Teli. II délivrait des Fatwa (consultations
sur des questions de pratique islamique), chaque vendredi, et donnait en même temps des leçons
d'histoire et de culture islamique. Cette activité orale a connu un grand succès, et la radio rurale
locale avait élargi la portée, en réservant un quart d'heure chaque jeudi à cette formation religieuse
des adultes qui posent des questions par écrit, et reçoivent les réponses le jeudi à la radio, ou le
vendredi à la mosquée de Labé.
Il n’est cependant pas retiré du monde, et notamment des affaires publiques, mais on peut dire qu’il
les voit comme l'Ecclésiaste qui a écrit:
« J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil; et voici, tout est vanité et poursuite du vent... » (1,14)
et puis: « J’ai vu qu’il n’y a rien de mieux pour l’homme que de se réjouir de ses œuvres; c’est l’a sa part... » (1ll, 22)
Les causeries hebdomadaires à la mosquée et à la radio portaient sur le rituel et la charia, et sur la
morale islamique. Les thèmes en sont aussi variés que les soucis et les scrupules des croyants
foutanke à bien pratiquer leur religion. La réponse à une question posée est fournie par référence à
un ouvrage canonique, dont le consultant indique le titre et la page d’où est tirée l'explication fournie.
C’est la méthode scolastique la plus classique, tout a fait appropriée a la matière en cause, à savoir
l’enseignement des dogmes, de la pratique et de la loi islamiques. Le corpus des fatwas constitue
une pile volumineuse de manuscrits, si l’on sait que ces consultations sont données de façon quasi
continue depuis plus de dix ans maintenant, a raison de trente minutes hebdomadaires à
la mosquée, et quinze à la radio depuis trois ou quatre ans. Il faudra bien un jour traiter et éditer
cette masse de données; en attendant cet événement souhaite, sinon attendu, l’auteur recommandait
à ses auditeurs de la radio d'enregistrer les émissions y relatives. Le fil directeur de l’enseignement
délivré dans ses causeries peut se résumer dans les passages coraniques ci-
après:
« Personne n'est oblige si ce n'est à ce qu'il peut » (II, 233)
et : « Dieu veut pour vous la facilite, et non pas la difficulté » (II, 185).
Les idées exprimées dans ces deux passages sont reprises plus d’une fois dans le Coran, comme le
signale Cheikh Si Hamza Boubakeur (Le Coran, t.I, p. 145, A.Fayard, 1979).
Les actions que Dieu ordonne à ses fidèles de pratiquer, notre érudit les encourage sans restriction.
Celles que Dieu interdit, il les condamne sans appel. Un islam strictement obéissant à la loi divine,
mais non pas un islam austère, encore moins un islam rigoriste. Thierno Abdourahrnane rappelle
volontiers que, ayant créé l’homme faible face à ses passions, Dieu est miséricordieux (AR-
RAHMAN) et compatissant (AL-LATIFOU) envers les enfants d’Adam, dont Il accueille avec
clémence le repentir sincère, dont Il apprécie la reconnaissance envers Lui.
Ainsi, Dieu prescrit aux musulmans la prière a des moments déterminés de la journée, selon un rituel
précis quant aux gestes à accomplir. Mais au voyageur Dieu accorde un rituel simplifié, abrégé. Que
le voyageur prie donc selon le rituel que Dieu lui indique, sous peine de commettre le péché
d’ingratitude, de tomber dans un excès de dévotion, condamnable en islam comme tout autre excès.
El Hadj Ibrahima Caba: Defte Cernoya 1998