Theirno Abdourahmane à Diaari
Thierno Abdourahmane Bah
1916 - 2013
Thierno Abdourahmane ne reste pas longtemps à Labé, après ses études à Daara. Il s’en va plutôt à
Diari, où vivent ses cousins Alpha Bakar, chef du canton, et Moodi Ahmadou Lariya (senior) homme
de culture aux sens propre et figure, ainsi que sa grande sœur Yaye Maryama Sira, épouse du chef
de canton, et sa cousine Yaye Asmaou, chez l'homme de culture. Les deux fils de Yaye Kadidiatou
ont été enseignés par leur kaawou, le grand frère attentionné de la savante dame qui régentait,
quant à elle, toutes les affaires du ménage de son frère, Yaye Kadidiatou décida ainsi du mariage de
ses trois nièces a ses trois fils; elle décida son frère a accéder au désir de Bappa Habibou de réciter
le Coran. On imagine facilement les deux érudits, lui allonge dans un hamac ou accroupi sur une
peau de mouton ou un tapis sahélien, elle sur un escabeau ou une natte recouverte d'un pagne. Ils
parlent de leurs enfants et de leur clan, ils discutent de questions d’éducation et de pédagogie, ou
bien l'homme commente pour sa sœur quelque ouvrage savant. Un jour, Bappa Habibou les trouve
ensemble, et son père dit à sa sœur :
- Ne vois-tu pas ce petit qui m’importune pour que je lui fasse réciter le Coran?
La dame se tourna vers l'enfant:
- C'est une tâche ardue celà, mon enfant, tu sais
Oui, Yaaye, mais je voudrais.
- Tu en as vraiment envie?
- Oh oui Yaaye, répondit vivement I ‘enfant qui voyait là un soutien puissant, probablement décisif.
Et la tante de se tourner vers son frère:
- Accepte sa demande, mon frère. Puisqu'il le veut réellement, il pourra le faire, avec l'aide de Dieu et ta direction.
Alfa Bakar et Moodi Ahmadou n'ont pas été omis par Thierno Jawo dans son énumération des lettres foutanke:
« Quant à lui, Alfa Boubakar, il s'applique à l'étude;
il vit en compagnie des livres et ne s’en passe pas longtemps.
Il a récite le Coran avec fermeté. Il est tafsir.
Il connaît bien d’autres livres, et ne peut en être ignorant
Quant à son jeune frère Moodi Ahmadou, il a récité le Coran
par lui-même, avec fermeté, poliment et sans rigueur.
Celui qui, dans sa maturité tout uniment récite le Coran,
c'est certain qu'il appartient aux bienheureux.
On est d'accord que c'est irrévocable. »
L’un et l’autre fraternisent avec leur jeune cousin, chacun selon son tempérament et l’orientation de
sa curiosité intellectuelle. Alpha Bakar charge Thierno Abdourahrnane de la fonction de secrétaire
de canton. Il initie le jeune homme a débrouiller et résoudre les contradictions et conflits sociaux et
politiques, vaste champ d’actions toujours remises en chantier, comme le constate Louis ARAGON
qui a écrit:
« Songez qu'on n'arrête jamais de se battre et que avoir vaincu n'est trois fois rien Et que tout est remis en cause du moment que l’homme de l’homme est comptable; Nous avons vu faire de grandes choses mais il y en eut d’épouvantables car il n'est pas toujours facile de savoir où est le mal ou est le bien. »
Moodi Ahmadou Laariya fait dans l’érudition et l’agronomie, c’est, avons-nous dit, un homme de
culture aux sens propre et figuré. Il fraternise avec Thierno Abdourahmane en érudition, ils
composent des poèmes en pular et en arabe, ils discutent de classiques d’islamologie; ils
réfléchissent même sur l'opportunité et des méthodes pour approfondir l'arabisation de la société
foutanke. Parmi les créations poétiques, Bappa Abdourahmane cite une pièce de cinq vers dans
lesquels Kawou Ahmadou emploie des mots arabes, pular, malinke et soussou. C'est un poème
arabe, mais n’est-il pas des trois autres langues?
« Je sortai un jour de Koula (nom de village)
Je m'assis à l'ombre d'un koulo (nom d'arbre)
Je vis la-haut un singe
Je tirai deux balles
Il s’abattit par terre. »
Je m'assis est en soussou (wa dogho); par terre en malinke (bi dougou), les autres mots
soulignes en pular.
Moodi Ahmadou est encore un chroniqueur; il s'informe des hommes et des évènements notables du
pays et il les consigne dans de gros registres. Parallèlement, il s'adonne à une agriculture
d'acclimatation, il entretient un verger à l'entrée de Diaari, il plante dans son galle des plantes utiles,
bambous, cacias, en plus des fruitiers.
Le village s'étend, se serre plutôt dans une petite plaine au pied d’une côte raide qui en constitue
l'horizon nord. Vers le sud, la plaine descend vers un canyon ou coule la Sala, après avoir dévalé
l'impressionnante Jurnde Suma. C'est un petit village, a peu près de même taille que Dara-Labe,
avec sa mosquée centrale entourée des concessions du chef de canton et des principales
notabilités. Une école a été construite quelque peu à l'écart, à l'ouest du village. Une piste relie Diari
à Labé, quelque 40 km à l'est et à Lelouma, a peu près autant vers l’ouest. La piste passe entre la
concession scolaire où habitent les instituteurs et les concessions indigènes, contournant la localité
vers le nord, avec une pénétrante unique jusqu'à la mosquée. La civilisation des Blancs n'a pas l’air
très prisée dans les parages!
La plaine, au nord du village est vide; elle sert de place publique où les jeunes gens du cru
organisent des manifestations artistiques et athlétiques. Une source pérenne en bordure de la plaine
fournit I 'eau potable. Le terroir, rocailleux mais fort boisé, ne semble pas agricolement intéressant
au voisinage de Diari.
Thierno Abdourahrnane vit dans cet environnement, avec ses neveux et camarades d’âge. En 1937,
il épouse Neenan Aissatou, fille de Moodi Ahmadou. La jeune femme, lettrée, est très férue de
poésie peule; elle en collectionne des copies qu'elle récite et déclame avec beaucoup de talent et de
charme, tout en filant le coton au tournant quelque lefa.
Ainsi Thierno Abdourahmane continue à baigner dans un milieu littéraire et intellectuel. Il s'en revient
à Labé avec son épouse, et il s'acquiert une concession a quelque cent mètres de la mosquée. Il y
fait construire de belles et grandes cases, et une écurie pour un cheval. Dans sa case a lui, des
tapis couvrent le sol, et le mobilier est à la page, des chaises et des fauteuils. Un grand lit métallique
était caché dans une moustiquaire blanche.
Thierno Abdourahmane a toujours manifesté un gout sur pour les beaux objets. Sa profonde culture
est reconnue auteur de lui, par ses frères aussi bien que par les lettres de la province, dont
beaucoup au demeurant sont des talibe de son père. L'homme de la rue, quant à lui, est
impressionné de rencontrer ce jeune homme élégamment vêtu, au visage régulier, serein et
rayonnant, cependant sérieux, méditatif, qui impose le respect et vous tient à distance. La mode de
la jeunesse alors à la page est aux vêtements marocains, babouches, gilet de feutre boutonne
jusqu'au cou, sous un kaftane ou un grand boubou brodés a la main. Le travail de broderie prenait
couramment six mois et davantage. On voyait alors les artisans assis sous les vérandahs des
boutiques, les jambes allongées ou repliées en tailleur, un piquant de porc-épic a l'oreille, un jeu de
bobines de fils de couleurs différentes dans une boite de fer-blanc a côté deux. Ils devisaient de
leurs problèmes tout en faisant travailler l'aiguille, couvrant point par point le tissu de courbes de
Lissajous et d'arabesques compliquées, entourant des petits trous percés avec le piquant de porc-
épic et consolidés par des points de boutonnière. Les artisans de Labé étaient alors réputés dans
tout le pays pour la beauté des figures qu'ils obtenaient lentement, patiemment. Les jeunes élégants
vêtus de ces œuvres d'art raidies a l'amidon, déambulaient par les rues autour du marché, où
s’asseyaient en groupes sous les vérandahs des boutiques. Le commun admirait ces élégances. ces
jeunes visages riants et insouciants, ces boubous et ces babouches et ces bonnets de velours
violet.
El Hadj Ibrahima Caba: Defte Cernoya 1998