Alpha Yaya Diallo
Alfa Yaya Diallo Roi de Labe
De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »
Par Mamba Sano
Sans précautions oratoires d'introduction, à
brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,
Korofo Moussa lança la première phrase de
son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka
» ... phrase reprise par Silatéka pour
donner le ton, puis par la troupe entière
jouant sur le Kora, chantant et dansant avec
un ensemble parfait. Lire la suite...
Pour faire échec au plan de soulèvement d'Alfa Yaya, et se débarrasser définitivement de lui en détruisant sa
légende, l'administration coloniale va choisir la trahison. La cour du roi, à Konakry, est nombreuse, agitée, presque
fiévreuse. Modi Aghibu, le fils du roi, ses ministres, ses conseillers, ses suivants, le confident Omaru Kumba, dont
l'influence est considérable, multiplient les contacts et, visiblement, se préparent à l'action. Des lettres partent
quotidiennement dans toutes les directions. C'est une atmosphère de mobilisation. Dans cette agitation, profitant
des mouvements constants, l'administration n'éprouve aucune difficulté à infiltrer des agents investis d'une mission
bien définie tendre au roi du Labé un piège qui se refermera sur lui et permettra de le neutraliser. L'idée est
simple Alfa Yaya est toujours en liberté conditionnelle à Konakry. Par serment, devant le marabout Karamoko Sylla,
il a pris un certain nombre d'engagements (les Français ignorent qu'il s'est délié de ses engagements, ou feignent
de l'ignorer). Il suffirait à l'administration d'avoir la preuve qu'Alfa Yaya ne respecte pas l'un quelconque des termes
de l'accord pour le dénoncer, et éventuellement traduire le roi en justice. Sans risquer de trop vives critiques à Paris,
le gouverneur général pourrait ainsi se débarrasser d'un ennemi dangereux, coriace, irréductible, et maintenir le
Fouta sous la domination française. Les espions choisis par l'administration n'ont guère de difficultés pour jouer le
rôle de partisans farouches de l'alfa, impatients de participer à la guerre sainte, voire de sacrifier leur vie pour la
cause qu'il défend. Ils multiplient les preuves de leur fidélité, de leur enthousiasme. Parvenus dans l'entourage
immédiat du roi, les agents provocateurs lui suggèrent un moyen facile et gratuit d'enrichir ses arsenaux.
Pourquoi ne demandes-tu pas aux Français la poudre et les balles dont tes hommes ont besoin au Labé sous
prétexte de traquer les animaux sauvages qui déciment tes troupeaux et saccagent tes champs ? L'administration
coloniale devra te les fournir. Rien ne s'y oppose dans le protocole qui te lie à elle... Alfa Yaya réfléchit. Certains de
ses conseillers sont opposés à cette requête. L'administration, d'après eux, ne peut qu'y voir une manœuvre, ou une
provocation. La véritable destination des munitions ne peut lui échapper. D'autres, lui sont favorables du point de
vue de la légalité, en effet, rien ne s'oppose à cette demande. Et la réaction des Français permettra de prendre la
mesure de leur naïveté. Au pire, ils refuseront. S'ils acceptent, la cause obtiendra un renfort utile en munitions de
guerre. Modi Aghibu, favorable à tout ce qui lui paraît rapprocher le moment des combats, est d'avis de tenter
l'expérience. En définitive, Alfa Yaya décide de suivre les conseils douteux des provocateurs, et il adresse une
demande, en bonne et due forme, au palais du gouverneur. Ce qu'il ignore, c'est que le gouverneur de Konakry est,
depuis plusieurs jours déjà, en possession d'une lettre de dénonciation:
« Nous portons à la connaissance du respecté gouverneur qu'Alfa Yaya envisage de lui réclamer des armes, de la
poudre et des balles sous prétexte de chasse, et d'organiser des battues aux buffles et aux éléphants sur ses terres
dévastées du Labé. Nous devons signaler au gouverneur qu'il s'agit bien en réalité d'un prétexte, les armes et les
munitions étant destinées à enrichir l'arsenal qu'Alfa Yaya constitue depuis plusieurs mois au Labé, et ailleurs, en
vue de la guerre sainte dont il a pris l'initiative. »
Quand lui parvient la demande officielle d'armes de chasse, le gouverneur n'a plus qu'à la transmettre à Dakar,
jointe à une copie de la dénonciation. William Ponty, gouverneur général, est, comme on dit dans la langue de la
diplomatie, « couvert » en cas de critiques du ministre dont il dépend, il aura un dossier à présenter. Il donne carte
blanche au gouverneur de Guinée pour prendre « toute initiative exigée par la situation », faire échec aux intentions
« criminelles » d'Alfa Yaya et tuer dans I'œuf l'esprit de rébellion qui se répand au Fouta. Fort de cette autorisation,
le gouverneur de Konakry rassemble ses principaux collaborateurs:
« Nous possédons un tableau à peu près complet de l'état de la situation. Alfa Yaya a réussi à unir, peut-être pour la
première fois, les différentes factions du Labé et des diiwe voisins. Nous allons faire en sorte que ce soit aussi la
dernière. Alfa Yaya est aujourd'hui un homme très populaire. Il s'apprête à lever l'étendard de la guerre sainte. Nous
avions peut-être sous-estimé ses qualités de politicien, de tacticien : l'exil auquel la France l'a soumis lui aura
finalement été favorable. Nous avons envoyé au Dahomey un guerrier traditionnel, et il nous en est revenu un
véritable chef. »
Un des adjoints du gouverneur résume ensuite les rapports des différents chefs de cercle français arrivés à
Konakry. L'opinion commune partagée par la grande majorité des représentants français responsables au Fouta est
que l'action d'Alfa Yaya a réveillé des sentiments d'indépendance, d'enthousiasme religieux, de désir de combattre
profondément ancrés dans l'âme peule pour ces montagnards durs et fiers, très attentifs aux consignes des
marabouts, tolérant mal l'impôt qui s'est abattu sur eux, la guerre sainte qui se prépare est vraiment inspirée par
Dieu, et ils n'attendent qu'un ordre pour prendre les armes. Cependant, il ne faut pas se faire une idée fausse de cet
élan, précise le Français. Il retombera aussi vite qu'il est né, si le héros du combat Alfa Yaya perd son
influence. En le neutralisant, conclut l'homme de l'administration, la France éliminera le risque. La France a déjà
affronté dans la région des situations de ce genre n'a-t-on pas, il y a quelques années, fait avorter un soulèvement
du Fouta en fusillant (en 1900) Alfa Ibrahima, coupable de nombreux meurtre? En tout état de cause, le moment
est venu d'agir et de façon efficace! C'est bien l'intention du gouverneur. A tous les commandants de cercle, il
fait parvenir une lettre circulaire annonçant la déclaration de guerre de la France à Alfa Yaya, et se terminant par ces
mots :
« Prenez toutes les dispositions pour réduire, par la force s'il le faut, les éléments hostiles et faire disparaître toute
résistance. Ensuite, nous nous attacherons à faire naître la sympathie... »
En même temps, des renforts militaires sont envoyés au Fouta. Plusieurs pelotons de tirailleurs, bien armés,
encadrés d'officiers français, quittent Konakry. C'est bien une guerre que les Français préparent. A quel moment
Alfa Yaya est-il averti de ces décisions, et des dangers qui le menacent? L'administration n'a pas répondu à la
demande d'armes de chasse. Contrairement aux Français, il n'a pas, lui, d'espions dans les rangs de l'adversaire
pour le renseigner et inspirer ses manœuvres. Ce manque d'informations sur les intentions et les décisions des
Français constitue son point faible, et c'est ce qui va le perdre. Une certaine confusion règne dans son entourage.
Quelques conseillers comme Modi Umaru Kumba, proposent de précipiter les choses. Alfa Yaya, pensent-ils,
devrait quitter secrètement Konakry, au nez des Français, ce qui est possible sous un déguisement et grâce à un
réseau de complicités, gagner Kaadé pour proclamer ouvertement la guerre sainte. Mais d'autres conseillers jugent
que le moment est prématuré au Labé, le recrutement des sofas n'est pas terminé, non plus que la distribution
d'armes. Quelques marabouts formulent encore des réserves, de petits litiges restant à régler pour affronter la
puissance colonisatrice, riche, bien organisée, armée jusqu'aux dents. Il faut mettre toutes les chances de son
côté. Alfa Yaya hésite. Peut-être s'il avait, au début de septembre 1911, suivi les conseils des activistes groupes
derrière Modi Umaru Kumba et gagné clandestinement sa capitale, les événements auraient-ils pris un cours
différent? On peut difficilement imaginer la victoire des révoltés du Labé. Même si les hommes d'Alfa Yaya avaient
réussi, dans une première phase, à s'emparer des postes français du Labé, à détruire ou à chasser des garnisons
les tirailleurs, à planter sur les cercles principaux l'étendard de la guerre sainte, le colonisateur aurait fini par prendre
sa revanche et, appuyé par des forces importantes, à reconquérir le Fouta. Et, comme dix ans plus tôt, à l'époque
d'Alfa Ibrahima, la répression eût été sanglante! On peut donc penser que, d'un certain point de vue, la contre-
attaque précoce des Français va éviter bien des drames, elle va fondre sur la cour d'Alfa Yaya, qui hésite encore
sur les décisions à prendre.
Le 14 septembre 1911, alors qu'il sort de la mosquée de Konakry, Modi Omaru Kumba, principal conseiller du roi
du Labé, et, comme on dirait aujourd'hui, chef du clan « des faucons », est arrêté par les Français. Alfa Yaya est
stupéfait par la nouvelle. Il l'est plus encore d'apprendre que son conseiller va être traduit devant un tribunal
d'urgence, sous l'inculpation de recrutement de sofas et de perception illégale d'impôts a Labé. Par ces chefs
d'accusation, les Français veulent faire comprendre à Alfa Yaya qu'ils sont parfaitement avertis de ses entreprises,
qu'ils n'ignorent rien de ses plans. C'est leur dernier avertissement : sans doute espèrent-ils encore, sans trop y
croire, qu'Alfa Yaya va envoyer dans le Fouta des messages de paix, qu'il va ajourner ses projets de soulèvement,
mettre une sourdine sinon un terme définitif à ses rêves de reconquête. Mais c'est mal le connaître, et mal juger la
situation. Alfa Yaya sait qu'il joue sa dernière chance. Pour le Labé, il est vieux (il a soixante ans). Jamais plus ne se
représenteront les conditions aussi favorables à la conduite d'une guerre sainte, d'un soulèvement général. En
vérité, il ne peut plus reculer.
Devant l'affront qui lui est fait, Alfa Yaya se raidit. Son fils le presse de lancer l'ordre de combat, les envoyés partent
dans différentes directions pour annoncer l'imminence de la déclaration de guerre.
Les Français, de leur côté, accentuent leurs pressions. Modi Omaru Kumba est condamné à dix années de prison.
Plus grave, à peine le jugement rendu, il est envoyé en Côte-d'Ivoire. On est bien arrive au point de rupture. Alfa
Yaya peut-il encore s'évader? Il semble que la surveillance se soit resserrée autour de lui et de ses fidèles. Il s'est
laissé une nouvelle fois prendre de vitesse. Lui qui avait pour devise, jadis, de toujours prendre les devants,
d'attaquer comme le fauve et ne jamais se laisser surprendre comme le rongeur, quand il se décide enfin à quitter
secrètement sa résidence de Konakry, il est trop tard. Bien renseignés par les espions qu'ils ont placés dans son
entourage divisé, les Français connaissent tout de son projet. Le 31 octobre au matin, ils arrêtent Alfa Yaya et son
fils Modi Aghibu. Pour parer à des troubles qu'ils redoutent, ils évitent le procès. C'est par un arrêté du gouverneur
général qu'Alfa Yaya et son fils sont condamnés à être internés à Port-Etienne (Nuwadibu), en Mauritanie, pour une
durée de dix ans.
Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar. Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)