Alpha Yaya Diallo

Alfa Yaya Diallo Roi de Labe


De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »

Par Mamba Sano

Sans précautions oratoires d'introduction, à

brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,

Korofo Moussa lança la première phrase de

son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka

» ... phrase reprise par Silatéka pour

donner le ton, puis par la troupe entière

jouant sur le Kora, chantant et dansant avec

un ensemble parfait. Lire la suite...

 

Alfa Yaya a laissé échapper sa chance. Les textes coloniaux nous disent que « l'arrestation ne donna lieu à aucun

incident et qu'elle fut même acceptée avec une joie secrète par les anciens almamis et leurs clans de Timbo et de

Mamou ». On n'y oubliait pas en effet que les décisions d'Alfa Yaya de 1890 à 1897 avaient gravement secoué

l'ancien régime.

En vérité, ce fut un immense espoir qui s'éloigna du Labé. Privés de leur chef, les sofas, les guerriers prêts à se

battre se retrouvèrent sans cœur. Personne n'était en mesure de remplacer le roi du Labé à la tête du grand combat

contre les infidèles. Les marabouts recommandèrent la prudence et la patience. Ils avaient raison. Alors qu'Alfa

Yaya et ses fidèles quittaient Konakry, la mort dans l'âme, pour un nouvel exil, l'administration française se retournait

avec violence contre la gent maraboutique du Fouta, coupable d'avoir épousé la cause du grand rebelle. Elle frappa

vite et fort, s'emparant, aussitôt, à Kindiya, de l'un des hommes les plus respectés du royaume, le vieux Tierno

Aliyyu, waliiyu de Gomba, dont la culture n'avait d'égale que la volonté farouche de s'opposer au colonisateur.

Cette arrestation poussa les autres marabouts à une prudence plus grande encore. La guerre sainte fut oubliée, leur

lutte se limita à des malédictions prononcées dans les mosquées et à la rédaction de poèmes irrévérencieux contre

le colonisateur chrétien, dont la présence fut considérée comme une punition divine.

L'espoir de la liberté se dissipait comme un nuage à l'aurore. Déçu, maîtrisé, le Labé croyant confiait son destin aux

instances divines. Il s'engageait dans une longue période de servitude.

Alfa Yaya et son fils partaient, eux, pour un nouvel exil. Mais qui ne rappellerait en rien celui d'Abomey. On possède

une copie du rapport du conseil du gouvernement général de l'A.O.F. daté d'octobre 1911 et signé par le directeur

des affaires politiques, administratives et économiques, Beurdeley, consacré à l'arrestation d'Alfa Yaya et de son

fils Modi Aghibu. En voici des extraits:

« Les faits reprochés à l'ex-chef du Labé et à son fils ont été longuement exposés à la dernière session du conseil

de gouvernement, aussi ne les résumerai-je ici que succinctement: Alfa Yaya avait été exilé en 1905 pour six ans au

Dahomey, à la suite d'agissements qui tendaient à provoquer des troubles politiques graves sur les hauts plateaux

de la Guinée. Quant à Aghibu, il était à la même époque condamné à deux ans de prison pour menace de mort

envers un administrateur. Il allait peu après terminer sa peine au Dahomey, auprès de son père. « En novembre

1908, prenait fin l'exil d'Alfa Yaya. Après s'être engagé à vivre désormais comme un simple particulier, il recevait

l'autorisation de rentrer dans son pays et jurait sur le Coran de s'abstenir de toute immixtion dans les affaires de son

pays. Mais, à peine était-il rejoint par son fils, qu'il fomentait une véritable conspiration ayant pour but de provoquer

la révolte des populations du Fouta-Djalon, le massacre des européens et la restauration de l'ancien pouvoir des

almamis. « Alfa Yaya et Aghibu furent arrêtés aussitôt. Et le lieutenant-gouverneur de la Guinée, après avis

conforme du conseil d'administration de la colonie, proposait l'exil à perpétuité de ces deux fauteurs de désordres

en Afrique-Occidentale française. Le conseil de gouvernement de l'Afrique-Occidentale française, en sa séance du

21 juin 1911, approuvait les conclusions de M. le lieutenant-gouverneur de la Guinée, et, à la date du 7 août, le

gouverneur général soumettait à M. le ministre des Colonies un projet de décret pour interner Alfa Yaya et son fils en

dehors des colonies du groupe et décider que l'internement serait à vie. Les dispositions du décret du 21 novembre

1904 ne prévoyant qu'un maximum de peine de dix années à effectuer en Afrique Occidentale, ces propositions

semblaient se justifier, aussi bien par la gravité des charges pesant sur les chefs indigènes que par l'intérêt qu'il y

avait à les mettre dans l'impossibilité absolue de nouer, dans le Fouta guinéen, profondément fanatisé par l'islam,

de nouvelles intrigues avec leurs anciens complices. « M. le ministre des Colonies n'a pas cru devoir adopter cette

manière de voir et a prescrit à M. le Gouverneur général d'interner Alfa Yaya et Aghibu dans la région qui lui

paraîtrait convenable, mais en se conformant aux dispositions du décret du 21 novembre 1904. « J'ai, en

conséquence, l'honneur de présenter à M. le Gouverneur général, en commission permanente du conseil de

gouvernement, un arrêté prononçant pour une période de dix années la peine d'internement contre l'ex-chef du Labé

et son fils. Celle-ci serait subie à Port-Etienne, en Mauritanie, où la présence des chefs en question paraît présenter

le moins d'inconvénients et où, par ailleurs, une surveillance active et efficace pourra être exercée. A cet égard,

l'obligation où nous nous trouvons d'assurer le maintien de l'ordre dans le Fouta-Djalon, d'empêcher Alfa Yaya et

Aghibu, qui conservent des partisans nombreux et dévoués, disposant de larges ressources, de se tenir en rapport

pendant leur exil avec l'aristocratie peule, nous autorise à appliquer strictement et dans toute leur rigueur les

dispositions du décret précité. « L'internement sera donc réel et ne saurait affecter la forme de résidence

obligatoire permettant aux intéressés de vivre librement et de communiquer à leur guise avec l'extérieur. Cette

tolérance, susceptible de se concevoir vis-à-vis des chefs de moindre importance, condamnés une première fois et

qui manifestent un repentir sincère, serait inexplicable à l'égard de fanatiques, toujours dangereux, sans le moindre

scrupule, véritables récidivistes de l'excitation au crime et à la révolte et qui se sont montrés indignes de la

générosité dont nous avons fait preuve à leur endroit. C'est d'ailleurs afin de les isoler complètement des autres

condamnés et d'empêcher de façon efficace toute communication avec le dehors que des aménagements spéciaux

vont être effectués au fort de la garnison de Port-Etienne. « Les intéressés disposant de ressources largement

suffisantes, le projet d'arrêté n'a pas prévu le versement d'une allocation mensuelle par le budget local de la Guinée,

qui devra supporter simplement les frais résultant des installations appropriées dans cette dernière localité. Alfa

Yaya et Aghibu subviendront donc eux-mêmes à leurs besoins par l'intermédiaire de leur famille et dans des

conditions qui seront fixées ultérieurement, d'accord entre le lieutenant-gouverneur de la Guinée et le commissaire

général de la Mauritanie. »

Ce que le rapport Beurdeley ne précise pas, c'est que le choix du lieu d'exil, Port-Etienne, équivalait à peu près à

une condamnation à mort. L'administration française savait bien qu'elle n'aurait pas longtemps à verser la pension

annuelle de 6 000 francs qui avait été finalement accordée par les services économiques, et qui était d'ailleurs

remboursable sur les biens propres d'Alfa Yaya. Assigné à résidence dans le désert, habitué à l'altitude, à la

fraîcheur de la montagne du Fouta, c'est demander à un Nordique dé s'adapter sans transition à un climat tropical.

Alfa Yaya, vigoureux et en bonne santé, avait résisté à l'humidité de la côte d'Abomey. Sans doute ses espoirs de

reconquête avaient contribué à le maintenir en forme. Cette fois, tous ses espoirs disparus, les nerfs ébranlés,

rongé par le regret d'avoir temporisé et le terrible sentiment de l'échec, éloigné de son pays et mesurant le peu de

chance qui lui reste d'y retourner un jour, sans possibilités de négociations avec une administration qui le traite en

condamné et non plus en souverain exilé, le grand alfa du Labé donne à ses proches l'image d'un homme brisé qui

n'a plus de raison ni de désir de vivre. Et, en effet, le 10 octobre 1912, après un an seulement passé dans son

nouvel exil, Alfa Yaya s'éteint à Port-Etienne, après une courte maladie, qui était peut-être le scorbut. La nouvelle

parvient deux jours plus tard à Labé, et, peu après, est connue dans tout le Fouta. Si peu de temps entre le grand

espoir de soulèvement et la mort du héros en qui s'étaient cristallisées toutes les volontés ! Des prières furent dites

dans toutes les mosquées où flottaient encore les rêves de guerre sainte.

De nombreux lettrés dans le royaume saisirent cette occasion funèbre pour rallumer des flambées de nationalisme :

Alfa Yaya devenait une légende. Et il est resté une légende jusqu'à nos jours. Il a inspiré l'hymne national de la

Guinée indépendante, dérivé du chant improvisé jadis à Konakry par un griot. Ce chant, le griot personnel d'Alfa

Yaya devait le populariser jusque dans les plus petits villages. Ainsi, par-delà les années et par la vertu d'une

chanson, le nom du grand alfa du Labé se retrouvera, près d'un demi-siècle plus tard, étroitement associé à la

réalisation de son rêve unique et impérieux : l'indépendance de son pays.



Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar. Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)