Alpha Yaya Diallo
Alfa Yaya Diallo Roi de Labe
De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »
Par Mamba Sano
Sans précautions oratoires d'introduction, à
brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,
Korofo Moussa lança la première phrase de
son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka
» ... phrase reprise par Silatéka pour
donner le ton, puis par la troupe entière
jouant sur le Kora, chantant et dansant avec
un ensemble parfait. Lire la suite...
En ce début d'année 1911, c'est bien une atmosphère de veillée d'armes qui règne dans toute cette partie de
l'Afrique. Derrière Alfa Yaya, maintenu à Konakry, mais impatient de regagner Kaadé, où ses lieutenants l'attendent
pour lever l'étendard de la révolte et prendre la tête de ses troupes, tout le peuple peul est au coude à coude, prêt au
combat. Autour du nom d'Alfa Yaya s'est cristallisé un grand espoir de libération: tout ce que le Fouta compte de
mécontents, tous les pasteurs soumis à l'impôt numéraire et à l'obligation de fournir des bêtes à l'administration
coloniale pour son ravitaillement dans les centres urbains, les lettrés et les mystiques qu'inquiètent l'arrivée des
missionnaires et leurs premiers efforts d'évangélisation, les nationalistes qui ont accueilli les colonisateurs sans
méfiance et qui sont déçus par leur attitude brutale, leur cupidité, le Fouta dans son ensemble attend un signe du roi
du Labé, inspiré par Dieu. Mais ce signe ne viendra pas. Alfa Yaya a commis une erreur : une fois de plus, il a
sous-estimé le pouvoir, les informations, les possibilités de réaction de l'administration coloniale. Fort de son
prestige, qui est immense dans le Labé, dans tout le Fouta, et même au-delà des frontières du vieux royaume des
Montagnes, il a cru pouvoir défier presque à visage découvert les hommes du gouverneur. Grand organisateur, il a
donné la mesure de ses capacités : en quelques mois, bien qu'éloigné, il a réussi à s'assurer toutes les alliances
nécessaires et les appuis politiques, à créer une armée, à réunir des armes, bref à mettre son pays sur le pied de
guerre et en situation de la gagner. Il a, de façon indiscutable, donné la mesure de ses qualités d'homme d'Etat, de
chef politique et de chef de guerre. Il est devenu par la vertu de son intelligence et de ses facilités propres le grand
roi que le royaume attendait! Mais ce pouvoir charismatique qu'il est sans doute, depuis ses lointains ancêtres les
alfa, le premier à détenir dans cette partie du monde, il ne l'exercera pas. L'administration coloniale va réagir
brutalement et efficacement. Et le grand rêve de guerre sainte, de liberté, de victoire d'Alfa Yaya se dissipera dans
l'amertume d'un autre combat. D'après les documents que nous possédons aujourd'hui, il apparaît à peu près
certain que, dès le début, les services de renseignements du gouverneur général français William Ponty
connaissaient les grandes lignes au moins de l'action d'Alfa Yaya. Voici les extraits du rapport d'un des chefs de
cercle qui date du moment où les préparatifs de la guerre sainte battaient leur plein. Ce rapport fut envoyé de Labé
à Konakry, puis à Dakar, à l'occasion d'une enquête réalisée sur le meurtre d'un mystérieux [commerçant]
commandant de cercle français dénommé Bastié:
« De jour en jour, notre autorité est méconnue. Tous les marabouts, groupés autour du waliiyu de Gomba, attendent
le moment de prêcher la guerre sainte. Le kilo de poudre vaut maintenant 14 francs à Pita, ce qui indique que les
hommes s'arment en vue de combats proches. Ils sont bien approvisionnés en fusils par la Sierra-Leone et la
Guinée portugaise. On dit ici que de Konakry, Alfa Yaya a donné l'ordre d'envoyer trois cents bœufs de son troupeau
au Sénégal pour augmenter son trésor de guerre. Tout se passe comme si la révolte, dirigée de Konakry, allait
éclater d'un jour à l'autre. »
Plusieurs autres rapports, qu'on peut consulter aujourd'hui dans les archives coloniales, expriment les mêmes
craintes et contiennent les mêmes avertissements. L'un d'eux insiste sur le pouvoir qu'Alfa Yaya exerce dans le
Fouta:
« La population attend de lui le grand miracle qui va la libérer de l'impôt, bien qu'Alfa Yaya, sans qu'elle le sache,
soit un des bénéficiaires de cet impôt. Et qui va lui rendre l'indépendance, faire oublier les rapports d'amitié (et
d'intérêt) qu'il a longtemps entretenus avec les Français et qui, à l'époque, lui valurent beaucoup de critiques. Il a
même su faire oublier la tyrannie parfois sanglante qu'il a exercée sur ses propres sujets, et les meurtres dont il s'est
rendu coupable. Désormais, on ne voit plus en lui que la victime et l'ennemi des anassaras (les chrétiens), le
dépositaire du message divin, le libérateur du pays. Aveuglée par son adoration pour Alfa Yaya, la population a
oublié son passé et ne pense pas un instant à ce qui lui arriverait si les Français étaient rejetés: le royaume du
Fouta retomberait dans la cruelle guerre civile qui y régnait avant notre arrivée. »
Il semble aussi que, dans sa résidence de Konakry, Alfa Yaya ait su que l'adversaire n'ignorait presque rien de ses
préparatifs de combat. Les voyageurs, les aventuriers, les marchands de fusils, les espions pullulaient à la petite
cour royale de Konakry. Mais Alfa Yaya se sentait assez fort pour s'opposer presque ouvertement au colonisateur.
Et il n'avait pas le choix. Toute fuite au Labé était pour le moment irréalisable, et il ne pouvait non plus retarder la
mise en marche de son plan. Sa conscience des événements était très claire. Il avait pesé les risques. Jamais plus
il ne bénéficierait dans son pays d'un « climat » aussi favorable. Ses conseillers, comme Omaru Kumba, et son fils
Modi Aghibu le pressaient d'agir. Il envisageait de déclencher les opérations dans une quinzaine d'endroits, au
Labé principalement, et de profiter de l'affolement de la puissance coloniale pour quitter Konakry avec une troupe
réduite, gagner Kaadé et prendre le commandement de la révolte. Les détails du voyage avaient été étudiés et
des relais prévus. A la veille de la plus importante opération de sa carrière, Alfa Yaya voulait mettre toutes les
chances de son côté. A Dakar, le gouverneur général William Ponty s'interrogeait sur les mesures de défense à
prendre face à ce branle-bas de combat et sur le moment opportun pour passer à l'action. Les problèmes qui se
posaient à lui n'étaient pas simples au Fouta, une puissante vague d'oppositions était à prévoir, et il fallait compter
avec une contagion possible dans toute l'Afrique Occidentale française. A Paris, on ne voulait pas d'une guerre
coloniale. D'autre part, la déportation d'Alfa Yaya au Dahomey cinq ans plus tôt avait provoqué un petit scandale,
dont les échos avaient atteint même le Sénat de la République française. Le gouverneur général tenait beaucoup à
éviter qu'une telle situation ne se reproduisît. Et enfin, il y avait la personnalité même d'Alfa Yaya, symbole de la
fierté, du goût de l'indépendance, du courage de la nation peule, qualités que le gouverneur général respectait,
même si elles se dressaient contre les intérêts de la France. Tous ces éléments expliquent que rien ne fut tenté au
début pour faire obstacle au plan de soulèvement d'Alfa Yaya. Et aussi, les Français désiraient connaître les limites
de son pouvoir. Par un autre rapport colonial daté de janvier 1911, on sait que les informateurs des Français les
tenaient au courant des progrès de l'influence d'Alfa Yaya au Labé.
« Le moment est venu de mettre un terme, écrit un administrateur, aux préparatifs de guerre sainte et aux appels au
combat. Partout, les âmes sont trempées et les courages enflammés. Si on n'agit pas maintenant, l'incendie allumé
par Alfa Yaya risque de s'étendre à tout le Fouta, et nous n'aurons plus les moyens de l'éteindre. »
Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar
Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)