Alpha Yaya Diallo

Alfa Yaya Diallo Roi de Labe


De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »

Par Mamba Sano

Sans précautions oratoires d'introduction, à

brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,

Korofo Moussa lança la première phrase de

son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka

» ... phrase reprise par Silatéka pour

donner le ton, puis par la troupe entière

jouant sur le Kora, chantant et dansant avec

un ensemble parfait. Lire la suite...

 

Il est évident que les Français ont décidé de l'éloigner du Fouta, foyer de la guerre. Pour combien de temps? Si ce

voyage est une erreur, il est trop tard pour reculer. De toute façon, les Français ne lui laissent pas le choix. Après

deux autres audiences publiques où vont être évoqués des problèmes de justice au Labé, ils embarquent le roi et sa

troupe sur un autre navire, le Paraguay, à destination de Dakar, sous prétexte de rencontrer le gouverneur général.

Ce n'est qu'au moment du débarquement que se dissipent les derniers espoirs d'Alfa Yaya. Pas de gouverneur

général, mais un administrateur d'un rang modeste, qui lui annonce qu'en vertu d'une décision de la République

française, en date du 23 novembre 1905, Alfa Yaya est destitué de ses fonctions, qu'il n'est plus roi du Labé, et qu'il

est condamné à être déporté à Abomey, au Dahomey, pour une période de cinq ans. Le lanɗo prête l'oreille à ces

propos, mais il ne semble pas les comprendre. Il se penche vers son suivant. Le fonctionnaire doit répéter la

condamnation plusieurs fois. Finalement, Alfa Yaya ne peut que confirmer son incrédulité. Est-ce vrai ?Un

grand silence tombe sur le groupe, consterné. Le représentant de la France l'interprète comme une soumission et

ajoute que son gouvernement concède au lanɗo, pour la période de sa déportation, une pension de 25.000 francs

par an. Cette fois, l'insulte est trop forte. Une vulgaire pension de 25.000 francs au puissant roi du Labé, au grand

chef des croyants, au commandeur de la moitié du Fouta? Un éclair de colère passe dans les yeux d'Alfa Yaya.

Mais il sait se contenir: à quoi servirait une scène de violence, de refus? Il n'est pas une femme hystérique. Il

connaît les vertus du silence et de la résignation. S'il y a une parade à ce coup traîtreusement porté par le

colonisateur, il sera temps de le découvrir. Pour l'instant, il n'y a qu'à feindre de s'incliner. Alfa Yaya baisse la tête et

se borne à réciter la fameuse formule de l'aɗésion à l'Islam (shahada) : « Il n'y a de Dieu qu'Allah, et Mahomet est

son prophète. »

En gagnant la résidence temporaire qui lui est assignée dans la petite île de Gorée, encore pleine du souvenir des

marchands d'esclaves, le roi du Labé, devenu le Prisonnier de la France, s'enfonce dans le silence. Tous ceux qui

l'entourent se gardent de troubler sa méditation. Mais leurs pensées vont dans la même direction: Alfa Yaya vient

d'être battu pour la première fois de sa vie à son propre jeu: l'adversaire a été plus rapide que lui. Les Français

n'ont pas hésité à agir avant les premières escarmouches de la guerre sainte. Alfa Yaya a perdu la première

manche de la lutte qu'il a engagée avec les autorités coloniales. Mais déjà son cerveau échafaude un plan de

vengeance. Connue plus tard en France, l'arrestation d'Alfa Yaya fut loin de faire l'unanimité. Des voix s'élevèrent

pour dénoncer la « traîtrise » de l'administration française. Un rapport signé Crespin raconte de la façon suivante la

déposition d'Alfa Yaya:

« On vit, dès lors, le plus dévoué, le plus fidèle des anciens chefs du Fouta soupçonné, saisi et déporté sans

enquête, sans être entendu, sans jugement, sans justice et peut-être sans savoir ce qui lui était reproché! Il fut

soupçonné, et ce fut assez, de fomenter une rébellion. Pourquoi? Dans quel intérêt? Que penser de cet étouffement

de la cause dans une mesure de dépossession et d'exil, où l'ingratitude, la mauvaise foi et l'arbitraire se mêlent en

un suprême défi à la justice et à l'humanité? Il est impossible que monsieur le ministre des Colonies couvre de

telles pratiques... »

Sur le moment, l'arrestation d'Alfa Yaya passa pour une victoire de l'administration coloniale. Dans les jours qui

suivirent son arrivée à Gorée, un administrateur du service des affaires indigènes, Lescure, se rendit auprès du

lanɗo, dont le français était hésitant, avec un interprète pour discuter les modalités du bannissement. Il semble que,

dans son malheur, le lanɗo ait manifesté quelque soulagement à la certitude de n'être pas déporté au Gabon. Il

apprit aussi que ses biens étaient confisqués, mais qu'ils seraient gérés pendant l'exil par le mandataire de son

choix. En tout état de cause, pour éviter (d'après eux) un acte de désespoir, les Français affectent à sa surveillance

un piquet de tirailleurs. Légale ou non (on en discutera longtemps), la condamnation du roi du Labé prend effet

aussitôt que prononcée. Le séjour à Gorée ne dure que quelques semaines. Puis la suite royale est embarquée sur

le Taurus, qui l'amène à Cotonou. Elle y débarque le 28 janvier 1905, et les dispositions ont été prises pour qu'elle

soit aussitôt acheminée vers la capitale historique du Dahomey, Abomey. Le reste de la suite de l'alfa, ses quatre

autres épouses (Salimatu, Nyara, Zaynab, Sunuku), ses filles, ses conseillers, ses serviteurs, soixante-dix

personnes environ, le rejoindront plus tard. Pour le moment, entouré d'une vingtaine de proches et de fidèles, le

grand roi du Labé, prisonnier des Français, commence la douloureuse expérience de l'exil.

A Abomey, le premier soin du roi exilé est de reconstituer sa cour, à la fois muraille protectrice, centre d'information

et plate-forme éventuelle pour une nouvelle action. Par son fils aîné. Modi Aghibu, qui l'a rejoint, il sait que beaucoup

de ses ennemis, frappés par la mesure dont il est victime, sont redevenus des amis. Ainsi Modi Alimu, chef de

Ndaama, Modi Ahmadu Kurujan, ancien chef de la province de Bajar, et beaucoup de princes dispersés dans tout le

royaume. La brutalité des autorités françaises les a révoltés. Hier hésitants, ils sont maintenant favorables à Alfa

Yaya ! L'exil lui vaut une grande déception, mais, à coup sûr, un regain de popularité dans son pays.
Par différents

moyens, des fidèles lui font très vite parvenir des messages d'allégeance et de sympathie. Son réseau d'hommes

de confiance est plus important que jamais : pour gérer ses biens confisqués, Alfa Yaya a désigné un véritable

gouverneur financier, placé sous l'autorité de Modi Juldé Tyanhe, son conseiller le plus intime qui le représente à

Kaadé, à Labé et en Guinée. A Labé, il délègue son autorité à Modi Bhooyi Kooliya. A Saabé, il désigne Umaru

Débé et deux autres représentants. Tierno Sulay Daya le représente à Kubiya, et Jam Malal, son gardien de

maison, à Konakry. En plus de ces délégués officiels, il confie ses intérêts à toute une série de conseillers occultes

dont l'influence au Fouta est grande et qui ont pour tâche de maintenir son prestige. Parmi eux, le grand marabout

Tierno Saiidu, le cadi (juge), Tafsiru Baaba, très âgé, le frère du roi, Moodi Muktar Singhetti, et Ibrahima Faytayu,

chef des Tyaapi. Tous ont aussi la charge de veiller au maintien du patrimoine d'Alfa Yaya. L'inventaire de ses

biens réalisé par les Français après le départ pour Abomey a été retrouvé dans les archives coloniales. Il est

impressionnant : beaucoup d'or, surtout sous la forme de bijoux féminins, des marchandises placées au nom des

parents et alliés, car la loi interdit à un souverain théocratique de faire lui-même du commerce, des domaines

disséminés dans tout le royaume, principalement à Labé, Kaadé, Fulamori, Konakry, etc. , beaucoup de terres,

deux cents chevaux, deux mille cinq cents têtes de bovins ; de trois mille à quatre milles chèvres , etc. ; des

serviteurs de différentes catégories, onze mille environ au total, comprenant les serviteurs de maison, intégrés à la

famille, qui ne peuvent en aucun cas être vendus ou tués, et des esclaves des champs, employés aux différentes

cultures.

Alfa Yaya est un roi très riche. Et encore il faut bien admettre qu'il possède beaucoup plus de richesses que celles

qu'ont recensées les Français.

En vérité, jamais l'influence d'Alfa Yaya n'a été aussi grande que depuis que les Français l'ont exilé : il le sent, le sait,

et cette pensée lui donne le courage d'affronter la situation et la force de penser à l'avenir. Détail très important, son

fils aîné, Modi Aghibu, est resté au Labé. Par des émissaires secrets qui déjouent la surveillance des Français et

les pièges des espions, le roi sait que Modi Aghibu, officiellement chef du Kubiya, a entrepris une campagne très

active dans tous les sous-diiwe du Labé : dans toutes les montagnes du Fouta, le nom d'Alfa Yaya est acclamé, et

son image vénérée comme celle d'un héros, d'un martyr ! Le roi avait créé contre lui, par son comportement souvent

violent, voire cruel, de fortes oppositions. Elles s'effacent devant l'infortune qui s'est abattue sur lui. L'image du

souverain exigeant et tyrannique disparaît au profit de celle du héros près de son peuple, en lutte contre l'oppresseur

aux « oreilles rouges » ! Eloigné des siens, Alfa Yaya est, pour la première fois de sa vie, devenu vraiment

populaire. Paradoxe de la vie politique.

Les Français ne sont pas indifférents à ce phénomène. Dans un rapport qu'il rédigera plus tard, le gouverneur

Demougeot écrit :

« L'annonce de la destitution d'Alfa Yaya et de son arrestation à Konakry produisit dans le Labé une profonde

impression, faite de colère chez ses parents et ses partisans, d'espoir chez ses rivaux, de stupeur parmi la masse.

»

Et Rimajou, administrateur du cercle du Labé, envoie rapport sur rapport au gouverneur général pour lui signaler que

le bannissement du roi a fait de lui le héros de tout le Fouta.

« Désormais, écrit-il, le nom si discuté et redouté d'Alfa Yaya est célèbre dans les danses, les chants et les jeux, et

sa puissance est vantée dans tous les districts. »



Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar. Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)