Alpha Yaya Diallo
Alfa Yaya Diallo Roi de Labe
De la mélodie populaire « Alpha Yaya » à l'Hymne national « Liberté »
Par Mamba Sano
Sans précautions oratoires d'introduction, à
brûle-pourpoint, dans une envolée lyrique,
Korofo Moussa lança la première phrase de
son chant: « Alpha Yaya, Mansa bè Manka
» ... phrase reprise par Silatéka pour
donner le ton, puis par la troupe entière
jouant sur le Kora, chantant et dansant avec
un ensemble parfait. Lire la suite...
Alfa Yaya Diallo. 1850-1912 Prisonnier à Port-Etienne (actuel Nouadhibou, Mauritanie)
A l'époque, le souverain conduit chaque année, ou presque, une expédition vers la frontière occidentale et la
frontière méridionale de la province, dans le but de convertir à l'Islam les populations païennes vivant en bordure du
massif montagneux du Fouta-Djalon. C'est ainsi que le jihad, la guerre sainte, est périodiquement déclarée aux
Jalonké du Wontofa et du Sangalan, aux Bassari, aux Tanda et aux Koniagui du Bajar, aux Mandingues du Ngaabu,
aux Nalu et aux Landuman de la côte atlantique (entre Rio-Pongo et Rio-Nunez). La plupart de ces païens
n'opposent en général qu'une résistance partielle aux guerriers de l'alfa, seuls les Ngaabunké représentent
militairement un grand danger, au point que les alfa du Labé doivent parfois s'allier aux almamis de Timbo et du
Bhundu pour en venir à bout. C'est une de ces campagnes difficiles et périlleuses qui va servir d'initiation au jeune
guerrier. Il sait se servir de l'arc, de la lance, et il bout d'impatience. Dès le premier combat, il se rue sur l'ennemi.
Son père, qui l'observe, ne décèle nulle frayeur sur le visage du jeune homme, même au plus fort de l'engagement.
Aucun doute, il a reçu de Dieu les vertus du courage. Désormais, Modi Yaya, à l'âge où les enfants partagent encore
leur temps entre le harem et la mosquée d'études, fait office d'aide de camp de son père. Il est de toutes les
expéditions, de chaque campagne! Il a reçu un sabre de combat. A cheval, il multiplie les exploits. Au retour, il
caracole fièrement auprès de l'alfa victorieux. Ce traitement de faveur va avoir une première conséquence, éveiller
la jalousie des autres fils d'Alfa Ibrahima Diallo. Le courage, la précocité, les faits d'armes de Modi Yaya annoncent
évidemment une ambition puissante. A treize ans, il apparaît comme un prince épris de gloire, donc de pouvoir,
candidat au trône de son père, bien qu'assez éloigné sur la liste de succession. L'alfa réfléchit longuement.
L'ambition de son fils cadet ne lui déplaît pas, elle lui rappelle sa propre jeunesse. Et quel père n'éprouve pas de
plaisir à se revoir, comme dans un miroir, à travers son héritier? Mais elle l'inquiète aussi. Ce goût prématuré de la
puissance ne va-t-il pas pousser le jeune lion à des excès? Saura-t-il entretenir de bonnes relations avec ses frères
jaloux de ses dons et des faveurs dont il jouit? Ces réflexions conduisent le souverain à prendre une décision pour
tenter d'éviter les conflits entre frères. Il décide de distribuer de son vivant les commandements des districts de son
diiwal, étant entendu que les princes reconnaîtront la primauté de l'aîné, Modi Aghibu. La répartition des
commandements donne lieu à de longues discussions. Finalement, Aghibu reçoit le misiide de Kubiya, Yaya celui
de Kaadé et le Ngaabu, les autres districts étant partagés entre les différents héritiers mâles.
Tout de suite,Yaya manifesta sa déception, il avait été traité comme les autres, alors que, dans son esprit, il était
l'héritier privilégié! Sa déception se changea en fureur quand, l'année suivante, Alfa lbrahima, que la maladie avait
atteint, fit élire à la dignité d'alfa son fils aîné, obtenant sans difficulté l'assentiment de l'assemblée des croyants de
la province. Le nouvel alfa fut confirmé, selon la coutume, par l'almami, chef de la communauté musulmane du Fouta-
Djalon, dans la capitale politique de Timbo. Malgré sa jeunesse, Modi Yaya se jugeait digne et se sentait de taille à
ceindre le turban de l'alfa. Le choix de son demi-frère l'atteignit comme une insulte. Sa colère éclata au grand jour, à
tel point que son père l'appela auprès de lui. Le jeune homme, venu de Kaadé, capitale du district placé sous son
autorité, trouva le vieil alfa très affaibli, rongé par la maladie. Vois-tu, lui dit le souverain, je sens la mort approcher.
L'avenir me rend soucieux. Je n'ai qu'un désir: que la paix s'établisse entre mes fils. Modi Yaya promît de
contraindre son ambition. Face au vieil homme détruit par le mal, torturé par l'inquiétude, hanté par la vision d'une
guerre fratricide après sa disparition qu'il sentait proche, Yaya jura de se soumettre. Il cesserait même de proclamer
sa colère. Désormais, il resterait à Kaadé et renoncerait à se rendre à Labé, capitale de la province, à la recherche
d'appuis, de partisans. Yaya quitta son père en jurant de ne plus bouger de sa capitale et d'administrer son diiwal
sans lorgner vers les territoires de ses frères, dont il respecterait désormais le pouvoir. Il ferait acte de soumission à
son frère aîné, Alfa Aghibu. En outre, il promit de retourner à l'école, sa culture religieuse n'étant pas suffisante. En
même temps, il s'initierait à la vie mystique des confréries. Le pouvoir, lui dit son père, se conquiert par les armes,
mais s'exerce par la voix de Dieu... Modi Yaya admit que la vérité n'était pas seulement au bout du sabre, elle brillait
aussi dans le labyrinthe de l'étude, de la méditation. Il promit d'étudier, il le promit avec sincérité, fixant le vieil
homme, dont le regard semblait déjà embué par la mort. Sur la route qui le ramenait de Labé dans sa capitale, il
sentait son coeur déchiré par l'amour et le respect qu'il portait à son père, mais s'accommodait mal des
engagements qu'il avait pris, il n'avait pas été question de la dignité qu'il convoitait. Lui qui avait fait mille fois ses
preuves au combat, lance au poing, lui qui surpassait tous ses demi-frères par le courage, l'ardeur et la force
physique, allait-il devoir s'incliner devant eux tout au long de sa vie? Son étoile lui montrait la voie. Il se sentait investi
d'une grande mission. Né pour le pouvoir, pour le commandement du Fouta, Dieu l'avait désigné, mais son père
semblait indifférent à ces signes. Le courage, la vigueur qu'il avait montrés au combat dès son plus jeune âge
avaient-ils été déployés en vain? Le jeune Modi, dans sa colère et sa déception, oubliait simplement une réalité
essentielle que dans son pays le choix d'un alfa ou d'un almami n'était pas fondé sur la bravoure seule, mais sur un
ensemble de qualités, au premier rang desquelles venait la culture, la dignité, la foi. L'héritage des sages faisait la
part de cette vertu rare, l'équilibre, le sens de la mesure.
Ce n'est pas seulement l'apanage de la jeunesse. Le jeune prince, dévoré d'ambition, se jugeait à tort victime d'une
injustice. Entouré de notables de son misiide, il chevauchait vers son chef-lieu, le visage fermé, les mâchoires
contractées, essayant de maîtriser son ardeur. Allait-il devoir sacrifier à la parole donnée à son père les
perspectives du pouvoir, de l'autorité, le destin pour lequel il se sentait désigné? Comme s'il avait deviné les
pensées qui se bousculaient sous son crâne, un vieux sage se hissa à sa hauteur: Tu es encore très jeune, ô
seigneur. Le temps et l'avenir t'appartiennent. L'étude et la prière t'instruiront bien vite sur le choix de ton chemin.
Toute inspiration et toute décision viennent de Dieu...Modi Yaya baissa la tête. Ces propos avaient trouvé le
chemin de son coeur. Presque aussitôt, il éperonna son cheval. Il était résolu à l'attente, à l'étude, à la prière. Mais,
entre son destin et lui, le pacte de patience était fragile. La jeunesse veut tout, et tout de suite. Etouffer son
impatience serait démontrer sa maturité.
Thierno Diallo
Maître-assistant à la faculté des lettres de Dakar
Avec la collaboration de Gilles Lambert
Alfa Yaya, roi du Labé (Fouta-Djallon)