Les parures féminines au Fouta Djalon

 

 

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Du XVIIIe au XXe siècle, les femmes tirèrent parti des échanges internationaux pour embellir leur allure.

L’accès facilité aux matières premières et à des orfèvres réputés stimula l’engouement pour le luxe. Droit,

religion et politique révèlent la cohabitation entre « art de vivre » féminin et regards masculins.

 

Une esthétique de l’ornement

Le XVIIIe siècle connaît une large diffusion de la parure féminine. Dans le diwal de Labé, le phénomène

concerne bergère comme princesse. A la « chevelure (…) très élégamment tressée et ornée de perles

d’une manière singulièrement ravissante » (Kouna, 11 février 1794) répondent « une superbe parure

composée d’un grand nombre de fines perles, de pas moins de 8 manilles (bracelets) en fer à chaque

bras, et d’une grande plaque d’or à chaque oreille » (épouse de Modi Aliou (mo Karamoko Alfa mo Labé],

22 février 1794 - Watt).

 

Au début du XXe siècle, l’ornement d’une femme de l’élite débute par la tête. Le « long de la ligne du

cimier [de la coiffure] se placent des perles minuscules dorées. (…) Des pièces d’argent (…) pendent par

chapelets à droite et à gauche et (…) en arrière de la tête. Une grosse boule d’ambre et de larges anneaux

en porcelaine blanche sont accrochés au chignon (…). A chaque oreille, une grosse boucle en or massif

pesant parfois plus de cent grammes (…). Autour du cou, un collier de pièces d’argent et un gros collier de

boules d’ambre (…). Et encore des colliers de corail et de perles de verre, etc ».


Puis, méthodiquement, le reste du corps fait l’objet du même soin. « Aux bras, toute une série de bracelets

d’argent et quelquefois d’or vierge ; aux doigts des bagues nombreuses et énormes. Autour des reins,

plusieurs colliers formant une grosse ceinture : (…) verroterie aux couleurs variés, (…) [cauris], et [tout ce]

qu’il est possible de se procurer. Ces ceintures (…) retenues par les hanches (…) constituent une parure

de haute coquetterie. Aux chevilles, de gros et lourds bracelets gourmettes en argent massif. Quelquefois

des bagues au gros orteil ». (Levaré, 1925). Cette élégance résulte du goût des clientes et de la créativité

des orfèvres.


Matières premières et savoir-faire

Or et argent du Bouré et du Bambouk (Sénégal) étaient complétés par coquillages et perles du

« commerce atlantique ». De fait, les ports européens (ré)exportaient cauris des îles Maldives, ambre de la

Baltique, perles de cornaline de l’Inde (copiées en Allemagne) et perles de Murano (Italie). En raison de

leur forte demande, ces denrées servaient de monnaie d’échange aux explorateurs. Le 13 mars 1817,

l’épouse du jaggal (premier ministre) d’almami Abdoul Gadiri « offre » un mouton à Campbell … contre une

plaque d’argent !


Les « pièces d’or et les dollars en argent » (Winterbottom, 1803) alimentaient les forges des orfèvres

(siyaakeeɓe). Héritiers d’un art réputé depuis le XIIIe siècle, les dialonké du Bouré furent rejoints par des

forgerons (wayluɓe) du Bambouk. « Semblables à des métis (…), les cheveux aussi raides que ceux

d’Européens (…), venus du Nord », les wayluɓe de Labé et Séfouré (Kolladhe) rencontrés par Watt étaient

probablement maures.


Pour produire des filigranes, les siyaakeeɓe recouraient à la fonte à la cire perdue. Leur technique

consistait à réduire ou étirer le métal en un fil très fin pour le travailler de diverses façons (enroulé, torsadé,

martelé, …). Leur dextérité permettait de réaliser des bijoux légers en consommant peu de minerai. A

Timbo où la proximité du Bouré et d’axes commerciaux facilitent l’approvisionnement, les commandes de

la clientèle fortunée offrent aux orfèvres du XIXe siècle leur « âge d’or ».


Représentations

Statut - l’engouement pour la joaillerie gagne toute la société. Pour rendre apparentes les distinctions

sociales, des « lois somptuaires règlent la forme et la richesse des bijoux que peut porter chaque classe

de femmes. Par exemple, [seules les Seydiyanke –la famille des almami – peuvent] se parer de larges

bagues et de (…) brassards en argent » (Hecquard, 1851). Le droit s’inspire des valeurs de l’alsilamaaku :

« Wata dammbe e koogu e jawdi hode ! / Kala huunde ko fuɗɗi, ko jom-re'ugol » (« Que noblesse, pouvoir,

et richesse ne t’induisent pas en erreur ! Toute chose qui débute parvient à son terme » Ogirde Malal –

Cerno Samba Mombeya.)


Frivolité - un lettré semble surpris qu’apparaissent les « bracelets en or et les perles » (s. 35 – v. 33)

réservés dans l’au-delà pour « ceux qui croient et font de bonnes œuvres » (s. 22– v. 23) : “ Suddiiɓe wonti

e fii cuɗaari (…) Miijooji maɓɓe ko (…) labaaɗi conci e xaalisooji e kaŋŋe buy, tawa mulle juuɗe e lammbe

moƴƴe ɗe suytata ». “Les femmes ont jeté leur dévolu sur la parure (…) Elles rêvent de nombreux

vêtements, d’argent et d’or en abondance, de bracelets et d’ambre fin qui ne ternisse pas ». « Mo ɓe fotti

woo hiɓe tippa senƴa” ("A tout passant qu’elles croisent, elles font tinter les anneaux de leurs chevilles »),

souligne-t-il, évoquant le Coran : « il n’est pas permis aux croyantes de frapper le sol de leurs pieds pour

dévoiler leurs ornements cachés » (s. 24– v. 31). Toutefois, les bijoux servaient aussi les intérêts de la

nation.


Politique –Le Trésor public accédait parfois à cette épargne. Les femmes riches « donnent (…) jusqu'à

leurs bijoux, lorsqu'il s'agit de lever une armée pour combattre les infidèles » (Hecquard). Enfin, les chefs

d’œuvres des forgerons servaient la diplomatie. Le 22 juin 1851, Almami Oumar destine un « collier (…) en

filigrane d'argent et des bracelets d'un travail original » au gouverneur du Sénégal. De même, le 30 août

1881, almami Ibrahima Sory Donghol Feela adresse « une paire de boucles d’oreilles en or » au Président

français.


Conclusion

L’apparition d’un luxe inouï se refléta dans le regard des femmes, des juristes et des dirigeants. Conciliant

passion et raison, esthétique et économie, nuances et certitudes, une société islamique négocia un

compromis.


Mots : 996


Alfa Mamadou Lélouma

alfamamadoulelouma@gmail.com


Dédié à Hadja Hawa (Bari) Timbi Madina

en souvenir d’une perle de Nennen Bela Ninkan …

ILLUSTRATION



Nennen Mariama

Epouse d’almami Oumar (mo Almami Abdoul Gadiri) –1860.

Dessin : Hadamard - d’après le lieutenant Lambert. Gravure sur bois : Maurand