Un visa pour le Fouta Djalon. Droit, politique étrangère et mobilité des étrangers
Sauf-conduit (ciftinorgol) d'Alfa Agibu mo Alfa Ibrahima, landho Labe
Publié en 1899 par Aimé Olivier de Sanderval (1840-1919) – éditeur : A. Challamel (Paris) |
Comme tout Etat jaloux de ses prérogatives, la confédération théocratique prit soin d'organiser l'accès à
son territoire. La gestion de la « mobilité des étrangers » répondait à des règles et des usages. Quand elle
servait les intérêts économiques du pays, elle faisait l'objet de consultations entre assemblée et souverain.
La traduction et le (bref) commentaire d'un sauf-conduit (ciftinorgol) offrent un aperçu du fonctionnement de
l'administration.
Une exception : droit islamique et usages
« Ce sont des mécréants ! Que viennent-ils faire dans notre pays ?! » (Diountou, 1817 - Campbell). Le droit
islamique distingue le « dar al-harb » (domaine de la guerre) du « dar al-islam », auquel un étranger non
musulman ne peut accéder qu'à titre exceptionnel. Cette dérogation implique qu'un Croyant se porte garant
de sa sécurité (aman, en arabe). Voici comment Modi Mamadou Dian (notable de Timbo) y recourut pour
un voyageur souhaitant gagner le Fouta Djalon.
Un « verset du Coran écrit de la main de l'almaami (« l'hospitalité fournie au voyageur indigent mène au
paradis ») (…) devait me servir de passeport parmi tous les bons musulmans » (Araponka/Rio Pongo,
1827 - Carnot). Peu importe l'exactitude de la citation, l'essentiel est le gîte, comme pour cet individu
espérant « le papier royal qui doit m'ouvrir, dans chaque village, une case où m'abriter » (Sanderval, 1881).
De fait, l'approbation du souverain est incontournable.
4 février 1888 : « un courrier porteur d'une lettre en arabe » destinée à almaami Ibrahima Sori prend la
route. Le voyageur se conforme « à l'usage de demander au chef l'autorisation de rentrer dans ses Etats »
et reçoit une réponse favorable le 21 février 1888 (Gallieni). La simplicité de la procédure atteste de
l'ouverture croissante du pays – à mesure que les intérêts économiques prennent le pas sur les
considérations religieuses.
Economie et politique
Ils « ont en horreur les chrétiens, et sont persuadés qu'ils veulent s'emparer des mines d'or situées à l'est
du Fouta : c'est pourquoi ils mettent tant de précautions à leur fermer cette route » (Caillié, 1827). De fait,
l'enjeu était la maîtrise des flux commerciaux du Sahel vers le littoral – qui garantissait des ressources
douanières et le moyen d'influer sur le cours des denrées en régulant l'approvisionnement des comptoirs …
Indice de son importance, la « mobilité des étrangers » relevait d'une institution fédérale, le kawtital
mawbhè (Conseil des Anciens). « Ali, fils du marabout Abdoulai Paty, a écrit cette lettre (…) aux anciens
de Timbo (…) pour les engager à ne pas empêcher le blanc de voyager librement, car c'est l'hôte de
l'almamy » (Mollien, 1818). Il semble que la protection de l'almaami était symbolique et que la liberté de
mouvement était du ressort des Anciens.
En effet, le kawtital mawbhè pouvait se prononcer sur l'itinéraire du voyageur. Août 1881, Donhol Fella
(Timbo) : « les courriers revenus de Timbo ont fait savoir à l'Almamy que le conseil des Anciens désirait
nous voir retourner au Sénégal par le Fouta (…) afin de connaître « tout le monde du pays » (Noirot). La
politique étrangère du pays intéressait également les diiwe …
Un sauf-conduit d'Alpha Aguibou, landho Labé (m. 1882)
« Vu le roi (…) je reçois un papier rédigé séance tenante (…) un laisser-passer » (6 mars 1881 –
Tchikambil, Guinée Bissau - Sanderval).
« Au nom d'Allah, le clément, le miséricordieux. Qu'Il soit loué (…) et que la prière et le salut soient sur le
Prophète ! Ce document est rédigé par Alpha Aguibou pour un étranger, hôte de l'almaami
Ibrahima. Mawbhè Fuuta (O notables du Fouta), nous vous prions de le conduire chez l'almaami. Pour ma
part, je l'accompagnerai jusqu'à la misiide (circonscription administrative) de Modi Ibrahima Sori, qui
l'escortera jusque chez Koutoubou Touba. Ensuite, il sera conduit dans la misiide du (pays de) Binaani,
puis de misiide enmisiide jusque chez Modi Abdoulaye Diountou. Ce dernier l'accompagnera chez Modi
Mamadou Daka, qui lui fera gagner la mosquée de Popodara. Les mawbhè de la localité le conduiront
dans la misiide de Modi Mamadou Nadel, qui fera de même avec Thierno Saïdou Koulidara, qui le confiera
à son tour à Modi Mamadou Kolon Dara. Ce dernier le conduira chez Modi Saïdou et Modi Ibrahima
Tosoko, qui le confieront à Modi Amadou Bella Mawdho avant qu'il ne le conduise dans le (diiwal) Kebaali
chez Alpha Amadou Diarouga. Il le conduira dans une grande misiide, dont les Anciens se chargeront de
l'accompagner chez Alpha Amadou Fougoumba. Puis, il lui fera gagner la misiide suivante et l'on
procèdera ainsi jusqu'à parvenir chez Alfa Thiata, landho Bhuriya, qui le conduira à la misiidesuivante
avant de parvenir à celle de l'almaami. Wa Salam ».
L'itinéraire du voyageur est déterminé et placé sous la responsabilité de treize responsables situés dans
cinq diiwe (Labé, Kébali, Fougoumba, Bhouriya et Timbo). Les haltes aux chefs-lieux des subdivisions
administratives garantissent le caractère public du périple. Quelques individus sont « reconnaissables » - à
Touba ("Karamoko Koutoubou" alias 'Abd al-Qadir b. Muhammad Taslimi (1830 – 1905)) ou à Dara Labé
(Modi Mamadou Kolon mo Modi Aliou Zaïnoul (m. 1910)) …
L'architecture du laissez-passer repose sur des « points de repère ». De fait, la confédération théocratique
forme un ensemble de circonscriptions administrées par des individus nommés par l'almaami ou
les lanbhe diiwe. Investis d'une parcelle de l'autorité de l'Etat, ils sont les maillons d'une chaîne dont les
mosquées (du vendredi) constituent les anneaux. Dès lors, la bonne marche du voyageur et celle de
l'administration ne font qu'une : il faut suivre l'itinéraire et appliquer les instructions.
Conclusion
Les règles et pratiques régissant la mobilité des voyageurs occidentaux offrent un aperçu méconnu du
Fouta Djalon sous l'alsilamaaku. Recourir à des documents d'époque, c'est révéler un état d'esprit, une
politique étrangère et une pratique administrative. C'est aussi (et surtout ?) trouver matière à inspiration
dans l'attention portée à la défense des intérêts du pays par la concertation et le partage de l'information.
Mots : 999
Alfa Mamadou Lélouma –
Merci à Dr. Thierno Oury Diallo
pour la traduction du sauf-conduit
ILLUSTRATION