Le Livre Dans La Culture Du Fouta Djallon
Couverture d'un Coran - debut du XIXe Siecle
Alors que Conakry était capitale mondiale du livre le mois dernier, nous souhaitons donner un aperçu du livre dans
l’histoire culturelle du Fouta Djalon depuis le XVIIIe siècle.
Au commencement était le Livre
Le projet politique des fondateurs du régime reposait sur la diffusion du savoir islamique. Or cette dernière
impliquait le recours à l’écrit – ne serait-ce que pour l’apprentissage et l’enseignement du Coran. Les livres furent
l’une des ressources mises à disposition de cette ambition.
En 1851, Thierno Sadou Dalen rappelait le contexte de naissance du Fouta Djalon dans ces termes :
« Dieu, Le Très Haut, a fait naître sur cette terre nos grands saints et nos savants actifs (…) ils se sont mis
sérieusement à l’œuvre (…). Ils ont dissipé les ténèbres de l’injustice et de l’hérésie, si bien que (…) notre terre a
été illuminée par la religion » (Sur la discorde entre les deux clans du Fouta)
A sa prise de fonction, l’almami du Fouta Djalon et ses sujets se voyaient rappeler que l’ordre politique reposait
pour partie sur un livre : le Coran. « Voici l’Almami remplaçant. Nous lui confions la Religion, les pauvres, les
croyants (…). (…) Tout individu victime d’une injustice peut venir librement porter plainte (…) Que justice lui soit
rendue selon le Livre. Que tous suivent la Religion selon le Livre ».
Par ailleurs, les livres étaient omniprésents dans la vie quotidienne des élites politiques et religieuses de la
confédération théocratique du Fouta Djalon.
Un bien rare et précieux
Les livres supposaient un approvisionnement régulier en papier, bien importé d’Europe ou d’Afrique du Nord. En
1794, alors qu’il se trouve à Timbo – capitale politique de la confédération du Fouta Djalon, le voyageur britannique
James Watt note que la demande de papier est importante – à condition que le papier soit de la meilleure qualité.
Cette remarque atteste de l’existence d’un marché stimulé par des consommateurs avertis et exigeants.
Feuillet d'un Coran - Debut du XIX Siecle |
Cependant, au-delà des cercles dirigeants, le papier reste un bien rare. Ainsi, lorsque Thierno Mamadou Samba
Mombéya adresse en 1825 un exemplaire de son ouvrage de fiqh (droit) Ogirde Malal à Thierno Sadou Dalen, le «
livre » consiste en 16 tablettes de bois (alluuje). Toutefois, bien que le support ait pu varier selon les ressources de
ses usagers, en tant que vecteur du savoir islamique, le livre a bénéficié d’une attention continue de la part des
autorités du Fouta Djalon.
Le réceptacle des valeurs de piété et d’humilité
La production d’un livre nécessitait trois corps de métiers : le lettré, pour rédiger l’ouvrage ou garantir l’exactitude de
la version de référence ; le copiste, dont les qualités de calligraphie sont précieuses et enfin le cordonnier, pour la
confection des couvertures en cuir. Cette activité impliquait donc l’emploi d’une main d’œuvre qualifiée rémunérée
par de généreux clients. De fait, il fallait plusieurs mois d’un travail rigoureux et méticuleux pour réaliser un chef
d’œuvre.
Ainsi, selon Thierno Diallo « le prix d'un Coran calligraphié était variable selon la beauté de l'écriture, du papier et
de l'étui en cuir (nharo) selon la qualité de l'acheteur : un chef ou un marabout ne discutaient pas le prix d'un livre,
surtout s'il s'agit d'un Coran, c'était une question d'honneur et enfin selon les lieux, le prix variait d'une région à une
autre, ici il était de 12 bœufs, là : 25 ou 30. Quel que fût le prix, le calligraphe obtenait (…) la bénédiction d'avoir
recopié le livre d'Allah » (Fii Laamu Alsilamaku)
On voit donc comment, mus par le même idéal, l’artisan et le client s’entendaient moins sur la valeur marchande de
l’ouvrage que sur sa valeur d’usage – et la rétribution spirituelle escomptée du respect des commandements divins.
Usages des livres
Les lettrés accordaient une plus grande importance au contenu des livres qu’à leur ornementation. Certains
mécènes valorisaient quant à eux la dimension esthétique des manuscrits. Pour répondre aux besoins de la
clientèle, les ateliers de production de livres se spécialisèrent. Ainsi, à titre d’exemple, Kolladhe (diwal de Kolladhe)
produisait pour les karamoko alors que les lanbhe s’approvisionnaient auprès de Labe Deppere (diwal de Labé).
Les livres devinrent les symboles du savoir – et du statut privilégié que sa possession offrait dans le Fouta Djalon.
Comme le soulignait El Hadj Thierno Abdourahmane Bah, le port d’ouvrages en bandoulière devint un attribut du
lettré en voyage : « Ndar mawdho mo Fuuta (…) Dolokal mun e leppi e deftere mun/faleteende e tuggorgal balewal,
Si ko jon gandal alluuje falaadhe/ e defte wadhaadhe e nder sasawal » (Vois un vieux du Fouta (…) Avec son grand
boubou de cotonnade, son Coran/en bandoulière et sa longue canne noire, S’il s’agit d’un lettré avec des
planchettes en bandoulière/Et des livres dans le lourd sac en peau » (Fuuta hettii bhuttu).
Un important patrimoine à promouvoir
Ce rapide survol historique fournit un aperçu de la place centrale occupée par le livre dans notre culture. Le Fouta
Djalon compte des chefs d’œuvre méconnus dont la conservation et l’étude sont bénéfiques à plus d’un titre. En
effet, ils révèlent l’excellence intellectuelle et spirituelle d’un âge d’or de notre pays.
Qu’il s’agisse de la beauté de la poésie (en arabe ou en pular), de la richesse du contenu de certaines œuvres, du
génie créatif des artisans impliqués dans la réalisation des livres ou encore des détails biographiques sur nos
ancêtres, les manuscrits sont des mines d’information recélant une partie de notre identité.
Cependant, alors qu’ils constituent un important élément du patrimoine de notre pays, peu d’attention a été porté à
leur préservation et à l’étude de leur contenu. On ne peut donc qu’encourager des initiatives comme le blog « les
écrits islamiques du Fouta » [https://lesecritsislamiquesdufouta.wordpress.com]créé par El Hadj Boubacar Bah. En
collectant des œuvres écrites et en les publiant sur internet, il suscite la curiosité et offre un contenu difficile d’accès
au plus grand nombre. Qu’il en soit remercié ! Yo Allah yobbu !