Almamy Samory et le Fouta-Djallon

Pendant que le Fouta-Djallon évoluait dans les conditions que nous venons de voir, Samory fondait un empire très

vaste à l'est. Au cours de sa poussée vers le nord, sa puissante armée se heurta, malheureusement aux troupes

françaises qui avaient occupé le Soudan (Mali) et cherchèrent à l'attaquer pour prendre possession de son territoire.

Samory fut donc obligé de rebrousser chemin et de diriger sa conquête vers l'ouest. Devant lui, le Fouta-Diallon était

un obstacle sérieux. Quittant le Ouassoulou il conquit tous les petits Etats qui secondaient entre ce pays et le Niger à

l'ouest. Au dela, il ne pouvait s'étendre que vers le Foutà-Djallon. Il dépêcha une première ambassade auprès des

Almamys du Fouta, leur demandant leur soutien pour le combat contre l'ennemi commun, les païens blancs. Si les

Almamys répondaient négativement à cette demande, il avait pris la décision de marcher sur leur royaume. Mais,

ceux-ci, se sentant menacés, souscrirent inconditionnellement à cette proposition et se dépêchèrent de prendre les

mesures qui s'imposaient pour arrêter la marche rapide de ce grand conquérant.

Les Almamys consultèrent leurs marabouts qui prescrivirent des sacrifices et d'envoyer à Almamy Samory un très

beau cheval blanc auquel ils avaient fait absorber un tafisinan. On envoya également à l'Almamy un léfa imbibé d'un

autre talisman. Une délégation foula quitta Timbo, porteuse du léfa et conduisant la belle bête. Les marabouts

affirmaient que dès la présentation de ces jolis cadeaux, l'Almamy Samory monterait le cheval et s'éventerait avec le

léfa ; si le cheval prenait la direction de l'est, Samory se détournerait du Fouta-Djallon. Quant au léfa, il avait la vertu

de décourager l'envahisseur.

Dès l'arrivée de la délégation chez Samory, elle lui présenta des cadeaux qui lui firent un grand plaisir. La beauté du

cheval l'incita à le monter immédiatement. La bête hennit aussitôt et se tourna vers l'est. Dès qu'il descendit à terre,

il contempla le léfa et fut frappé par l'ingéniosité avec laquelle il était confectionné. joyeux, il s'exclama, comme

d'habitude, « Pakî ! » et s'éventa aussitôt avec. Les envoyés de Timbo étaient satisfaits de l'effet des cadeaux sur le

destinataire. Ils proposèrent donc, au nom de leurs chefs, un traité d'amitié et de défense réciproque au grand

conquérant, qui y acquiesça sans difficultés.


Ce traité conclu, Samory demanda aux Almamys de lui fournir des boeufs contre des esclaves et les invita à

s'opposer à la France, avec les forces vives du pays, pour l'empêcher de s'installer au Fouta.

Mais si les Almamys avaient la volonté nécessaire, ils ne disposaient pas des mêmes forces que Samory. Ils se

contentèrent de lui fournir régulièrement le nombre de bœufs dont il avait besoin et continuèrent à s'occuper

davantage de leurs problèmes intérieurs qui, à cette époque, leurs causaient des soucis permanents.

Parmi ces problèmes, l'Affaire des Houbbous occupait une place primordiale. Or, le chef houbbou, Karamoko Abal,

depuis qu'il assassina l'Almamy 1brahima Sory Dara, n'avait cessé d'amplifier sa rébellion. Il avait fortifie sa

capitale Bokéto et noué des relations de bon voisinage avec les petits états soussou et malinkés proches à l'ouest

du Fouta qui se plaignaient constamment des attaques réitérées des partisans des Almamys Foula.

Le traité de défense mutuelle conclu avec Almamy Samory était donc une occasion favorable pour obtenir

l'anéantissement de cette rébellion. Samory, sollicité par Timbo, saisit aussitôt cette circonstance pour démontrer

aux Almamys la puissance de ses troupes.

Karamoko Abal, descendu des montagnes du Fitaba, avait conquis le Firiya. Samory envoya dans ce pays des

troupes sous le commandement du redoutable général Kémoko Bilali. Les Houbbous se retirèrent précipitamment

sur Bokéto où ils furent assiégés, pendant un an, par les troupes de Kémoko Bilali.

Désespéré d'enlever Bokéto par la force, Kémoko Bilali feignit désirer la paix, qui fut conclut avec le chef Abal. Un

certain nombre de Sofas du général demandèrent l'hospitalité à Abal, qui eut l'imprudence de l'accorder. Kémoko

Bilali se retira donc avec le reste des troupes. Quelques mois après, il rentra inopinément à Bokoéto, tandis que les

sofas restés dans cette ville se soulevèrent contre leur hôte.

Malgré cette trahison et la rapidité de l'attaque, Karamoko Abal réussit à repousser les assaillants. Connaissant la

ténacité de l'envahisseur et s'attendant à une nouvelle attaque, Abal resta sur le « qui-vive ». Il jeta un cri d'alarme à

ses voisins de l'ouest, le Houré, le Tamisso, le Kokounya, le Falaba, leur demandant du secours. Il leur rappela qu'il

leur servait de forteresse derrière laquelle ils devaient se réfugier, estimant qu'il était le seul disposant d'une force

suffisante pour résister aux troupes de Samory. Il ajouta que s'il succombait, un sort des plus terribles leur était

réservé, car la cruauté des sofas du conquérant était connue de tous. Il les supplia d'oublier les anciennes querelles

de voisinage pour s'unir à lui et barrer la route à l'ennemi commun.

Les termes de cet appel montraient l'angoisse qui étreignait Karamoko Abal. Il espéra un écho favorable de ses

voisins. Mais, hélas, la peur avait gagné le coeur de ces derniers, qui ne lui envoyèrent que quelques soldats mal

formés.

Kémoko Bilali, avec des renforts considérables, recrutés en pays Djalonké, renouvela, peu de temps après, son

assaut sur Bokéto.


Réduit à ses seules forces, Karamoko Abal lutta en vain. Abandonné par ses voisins, il fut pris par l'armée de

Kémoko Bilali. Tous les habitants de la capitale furent égorgés. Lui-même fut dépecé vivant par ses barbares

ennemis. Un morceau de son corps fut expédié à chacun des chefs de ces petits états voisins qui voulaient l'aider.

Cet envoi était un préavis sur le sort qui les attendaient.

Ainsi prit fin une rébellion qui avait duré plus de deux ans et qui avait coûté la vie à des milliers de fidèles, à des

partisans et à l'Almamy Ibrahima Sory Dara.

Les habitants qui échappèrent miraculeusement aux tortures de Kémoko Bilali se reggoupèrent et réoccupèrent la

région. Ils y formèrent un groupement important sous l'autorité des Almamys.

Samory et les Almamys respectèrent scrupuleusement le traité d'amitié et de défense mutuelle. L'échange de

boeufs et d'esclaves s'effectuèrent dans de très bonnes conditions au profit des deux royaumes.


Thierno Mamadou Bah - Histoire du Fouta-Djallon - Des origines au XXe siècle